1. Introduction
La diversité des futurs envisagés pour le nucléaire dans le monde est frappante. La situation du Japon, où les réacteurs sont presque tous à l’arrêt, contraste avec celle de la Chine voisine, qui construit ou envisage de construire des réacteurs de tous types. On ne voit donc pas comment cette diversité de trajectoires, aux multiples facteurs, pourrait converger vers une stratégie unique, qui plus est aux échelles de temps longues du nucléaire. En fonction des objectifs techniques (économie des ressources, gestion des flux ou stocks de matières radioactives), des contraintes économiques et des choix politiques, une grande variété de filières de réacteurs nucléaires innovants est envisagée. Le CNRS, acteur majeur de la recherche française, a donc un rôle important à jouer dans l’étude de ces nouveaux réacteurs. Entre autres verrous technologiques et scientifiques, le déploiement de ces concepts nécessite l’acquisition de données nucléaires à un niveau de précision élevé. Depuis le milieu des années 1990, l’IN2P3 a mis à contribution ses compétences en mesures de données nucléaires pour participer entre autres aux recherches en lien avec les lois françaises sur les stratégies de gestion des déchets nucléaires. L’Institut a également développé des expertises en physique des réacteurs, plus particulièrement sur les réacteurs pilotés par accélérateurs (ADS, Accelerator Driven Systems), et les réacteurs utilisant le cycle thorium, dont font partie les réacteurs à sels fondus (MSFR, Molten Salt Fast Reactors).
Ces dernières années, le groupe de physique des réacteurs du LPSC, avec le support des services techniques du laboratoire, a apporté des contributions essentielles aux expériences
- de mesure de réactivité en ligne d’un ADS, auprès de l’installation GUINEVERE,
- de mesure de données nucléaires de précision en lien avec l’étude de la fission, auprès du spectromètre LOHENGRIN de l’ILL,
- par la construction de dispositifs mettant en jeu des fluorures liquides en milieu statique ou dynamique (plateforme SWATH).
En parallèle, le groupe mène des études multi-physiques complètes de réacteurs existants ou de concepts en développement, afin de prédire aussi finement que possible leur comportement. En fonction des besoins, le groupe utilise des codes de calcul génériques (e.g., MCNP, SERPENT, DRAGON, OPENFOAM) ou développe ses propres outils (e.g. MURE). En appui aux études systèmes, le groupe contribue au développement d'outils d'études de la physique de l'aval du cycle du combustible à l'échelle d'un parc utilisant différents types de réacteurs. De plus, le groupe porte des études pluridisciplinaires d'économie de l'énergie focalisée sur l'économie du nucléaire avec une équipe d'économistes grenoblois et avec des géologues du CNRS spécialistes de l'uranium.
Depuis 2017 l’activité dédiée au système MSFR se poursuit dans une équipe séparée. Par souci de clarté et pour éviter les redites, cette activité ne sera détaillée que par l’équipe MSFR, bien que les travaux antérieurs à 2017 aient été menés au sein de l’équipe de Physique des Réacteurs.
2. Données nucléaires
Problématique des rendements de fission
Le groupe a défini, puis fait évoluer, son programme de recherche sur les rendements de fission en associant un volet évaluation en complément du programme expérimental principalement à l’ILL en collaboration avec le CEA (Saclay et Cadarache). De telles données sont en effet cruciales pour l’évaluation de plusieurs observables utiles pour la physique des réacteurs et les applications. Par ailleurs, elles revêtent également une importance plus fondamentale concernant l’étude du processus de fission. La recherche de précision et la détermination des corrélations d’incertitudes imposent des contraintes sur les modèles de fission et testent le pouvoir de prédiction de ces derniers. En outre, l’étude des rendements de fission en fonction de leur énergie cinétique donne une information indirecte sur les distributions en spin et en énergie d’excitation disponible lors de la scission, observable clé dans l’évaluation des données nucléaires.
Observables de fission
Les travaux effectués concernent notamment les mesures de rendements en masse, en charge, en isomères issus de la fission induite par neutrons thermiques (principalement la région contenant les 233,235U, 239,241Pu, 241Am, 245Cm, 251Cf) avec un focus particulier dans la région des fragments lourds et symétriques. Cette dernière est souvent peu fournie en données expérimentales. Nous avons donc mis au point un protocole complet de mesures et d’analyses, qui inclut notamment l’évaluation des corrections systématiques et des biais de l’instrument, ainsi que des matrices de variance-covariance expérimentales. Notre méthode d’analyse fournit en outre des rendements auto-normalisés, indépendants de toutes mesures ou évaluations extérieures.
(Left) Kinetic energy dependence of cumulative isotopic yields for the mass 139 and the comparison to the FIFRELIN calculations.
(Right) neutron multiplicity as a function of excitation energy deduced from FIFRELIN calculations.
(cf Wonder 2018)
Cette région possède une grande influence sur les hypothèses des modèles, en particulier l’existence des modes de fission. Pour la première fois, nous avons mis en évidence de manière directe l’existence de ces modes pour la fission thermique en accord avec les calculs microscopiques de ces dernières années ou le modèle phénoménologique de Brosa. Néanmoins l’importance des corrections impose de perfectionner le dispositif expérimental en incorporant une mesure de temps de vol pour améliorer la discrimination des évènements et limiter les corrections, ce qui représente un objectif de développement à moyen terme.
Les travaux sur les rapports isomériques ont pour premier objectif la construction d’une nouvelle bibliothèque sur une large gamme de temps permettant de déduire les distributions de spin des produits de fission. L’extraction et l’interprétation des isomères nanosecondes (cf. Wonder 2019) ont permis de démontrer la faisabilité du projet. Nous avons donc accès via des mesures directes ou indirectes à l’ensemble de la dynamique en temps de vie des isomères, de quelques 100 ps à plusieurs ms. Ainsi une grande variété d’états peut permettre à la fois de tester les codes (tel que le code FIFRELIN développé au CEA Cadarache ou le code GEF de K-H. Schmidt) et de fournir des informations de première importance afin d’évaluer les observables complémentaires aux rendements de fission comme les spectres de particules promptes.
Ces deux dernières années ont permis de mettre en évidence la faisabilité des mesures d’observables de fission en fonction de l’énergie cinétique des fragments (thèse S. Julien-Laferrière). Par faisabilité on entend la reproductibilité et la compréhension des phénomènes dans la cible, ainsi que l’acquisition d’une statistique suffisante pendant la durée de vie celle-ci, pour permettre une confrontation aux modèles (voir Fig. 1). La suite de ce projet constitue la thèse de J. Nicholson en collaboration avec le CEA Cadarache.
Le dernier volet de ce programme porte sur le développement de nouvelles évaluations des rendements de fission intégrant l’ensemble des données expérimentales accessibles. Une première méthodologie de travail avec les premiers résultats sur les rendements en masse de l’235U(nth, f) avec des matrices de corrélations cohérentes a été présentée (cf B. Voirin et al., EPJ N, 2018, 4, pp.26).
Étude expérimentale et modélisation des GFM comme filtre de fragments de fission
Le groupe est impliqué dans l’étude de faisabilité du projet FIPPS (FIssion Product Prompt gamma - ray Spectrometer) de l’ILL, qui a pour but la réalisation d’un nouveau spectromètre pour étudier les propriétés des particules promptes (n ou gamma). Ce projet correspond au couplage d’un ensemble de détecteurs Ge avec un « filtre de fragments de fission », rôle potentiellement joué par un aimant magnétique gazeux. Les propriétés d’un tel aimant furent donc étudiées, tant expérimentalement par la réalisation d’expériences dédiées à l’ILL, que théoriquement par le développement d’un programme de simulation des trajectoires des produits de fission dans un tel aimant. Ainsi il a été possible de mesurer le pouvoir de séparation des spectromètres magnétiques gazeux, leur résolution en masse et en charge ainsi que la dépendance de l’énergie initiale sur le champ optimal. Ces résultats débouchent à présent sur l’étude du dimensionnement et des performances d’un aimant spécifique pour le projet FIPPS, en collaboration avec l’ILL et le Pôle Accélérateurs du LPSC. Le LPSC s’est positionné sur les outils de tracking (Geant 4), les calculs de champs magnétiques et des aberrations pour les corrections des trajectoires et l’instrumentation. Une étude de pré-design de deux types d’aimants (dipôle homogène, dipôle en 1/r) est en cours de réalisation. Les résultats sont attendus fin 2019.
3. Physique des réacteurs expérimentale : projets MYRTE et MYRACL
Expériences MYRTE et MYRACL @ GUINEVERE
Dans la continuation du projet FREYA, conclu en 2016, notre équipe a poursuivi ses travaux sur le monitoring de la réactivité d’un réacteur sous-critique, en collaboration avec le LPC Caen, dans le cadre d’un nouveau projet européen, MYRTE, programmé en support aux études de design du réacteur MYRRHA dans le programme cadre EURATOM H2020. Le projet MYRTE est découpé en cinq Working Packages (WP), le 5ème WP étant dédié aux expériences réalisées sur l’installation GUINEVERE dans des configurations de VENUS-F plus représentatives du cœur de MYRRHA. Pour ce faire, le cœur de VENUS-F a été modifié : (i) pour ajouter du bismuth au plomb, afin de représenter l’eutectique Pb-Bi du caloporteur, et de l’oxygène sous forme d’alumine pour adoucir le spectre neutronique et se placer dans des proportions plus proches de celles attendues dans MYRRHA ; (ii) pour intégrer une couronne de graphite simulant la présence de BeO prévue dans MYRRHA et des IPS (In Pile Sections), dispositifs permettant d’accueillir des applications pour irradiation. Ces modifications permettent de reproduire l’hétérogénéité spatiale et le spectre neutronique prévus dans MYRRHA (cf. Fig. 2). Enfin, forts des résultats des projets précédents (FREYA et MUSE), l’instrumentation de VENUS-F a été complétée par trois détecteurs de neutrons rapides, des chambres à fission à seuil à dépôt d’uranium 238. Des chambres à fission standards à dépôt d’uranium 235, néanmoins recouvertes d’une fine couche de nitrure de bore pour absorber les neutrons thermiques, ont également été testées. Les campagnes de mesures effectuées pendant le programme MYRTE ont confirmé l’intérêt de tels détecteurs pour faciliter l’extraction de la réactivité du cœur. Elles ont également démontré la précision des méthodes de mesures absolues de la réactivité testées, suffisamment sensibles pour détecter des modifications fines de la composition du cœur.
Pour compléter les travaux de MYRTE, l’équipe a participé depuis 2017 à une série d’expériences conduites sur l’installation GUINEVERE dans le cadre d’un accord IN2P3 – SCK-CEN. Ce projet, appelé MYRACL, a pour objectif de tester l’applicabilité des méthodes de mesure de réactivité développées pendant les programmes précédents dans des situations plus proches de la réalité d’un ADS de puissance, piloté par un accélérateur Linac (600 MeV, 4 mA). Les efforts se concentrent particulièrement sur le démarrage d’un cœur sous-critique, lorsque la pleine puissance du faisceau n’est pas encore applicable : ce cas est reproduit avec GENEPI-3C en adoptant des réglages lui permettant de produire un faisceau de faible cycle utile, comme le ferait un Linac. Des mesures dans différentes configurations de détecteurs et sur une large gamme de sous-criticité sont réalisées afin de caractériser la précision des méthodes à l’étude et d’affiner la compréhension de l’impact de la position des détecteurs. Les analyses de ces expériences, faites par le LPC Caen, confirment l’efficacité des méthodes développées, tout en mettant néanmoins en évidence des comportements contre-intuitifs à approfondir dans les réponses des chambres à fission à seuil.
(Gauche) installation GUINEVERE au SCK-CEN, constituée du couplage du réacteur VENUS-F avec l’accélérateur de deutons GENEPI-3C.
(Droite) configuration SC11 du cœur, utilisée pendant le projet MYRTE. Zonage du cœur : (i) jaune, plomb ; (ii) vert, graphite ; (iii) violet, assemblages combustible U+Pb+Bi+Al2O3; (iv) rouge, barres de contrôle (2) + barre dédiée aux expériences de chute de barre (POAR) ; (v) mauve, barres de sûreté (6) ; (vi) bleu et orange, IPS mimant les aires d’irradiation prévues à MYRRHA ; (vii) blanc, trous pour l’instrumentation.
Amélioration de la méthode k-prompt
L’analyse des nombreuses données acquises pendant le projet FREYA se poursuit. Au LPSC, l’essentiel des efforts porte désormais sur l’amélioration de la méthode k-prompt. Comme son nom l’indique, cette méthode permet d’obtenir la valeur du coefficient de multiplication prompt kp du réacteur (puis sa réactivité) en comparant l’évolution temporelle de la population de neutrons induite par un arrêt programmé du faisceau, enregistrée par les chambres à fission positionnées dans le cœur, à un faisceau de courbes théoriques fonctions du coefficient kp. Cette méthode est précise et ne nécessite pas de post-correction des résultats. Cependant, elle requiert une puissance de calcul élevée pour générer ces faisceaux de courbes théoriques, ce qui limite son accessibilité. Jusqu’en 2016, l’essentiel de cette puissance de calcul était consommé pour propager les erreurs statistiques des données théoriques et expérimentales. Cette propagation était effectuée avec une méthode Monte-Carlo classique : tirage des paramètres autour de leurs valeurs moyennes dans leurs barres d’erreur respectives, calcul et comparaison des estimateurs théoriques et expérimentaux associés, et enfin extraction de la réactivité. Après une centaine de tirages, on pouvait estimer la valeur moyenne et l’erreur sur la réactivité en traçant son histogramme. Cependant, le calcul des estimateurs à chaque tirage étant long, cette procédure Monte-Carlo était devenue un point faible de la méthode k-prompt. En 2016, une solution analytique à ce problème a été développée, qui a permis une réduction d’un facteur 100 du temps d’analyse des données.
Par ricochet, cette solution a rendu possible une étude qui, malgré son intérêt, avait jusqu’ici été considérée comme non envisageable en raison de son coût prohibitif en calcul : l’évaluation de l’erreur systématique sur la réactivité due aux incertitudes sur la modélisation du réacteur. Comme pour toute analyse, les données expérimentales sont comparées aux prédictions de modèles, modèles qui sont des descriptions inévitablement simplifiées et incomplètes de la réalité. Dans le cas d’un réacteur, les compositions chimiques, densités, sections efficaces d’interaction des matériaux utilisés ne sont pas parfaitement connues. Par ailleurs, un réacteur étant une structure complexe, les modèles recourent à des simplifications de sa géométrie. Ces nombreuses incertitudes et simplifications entraînent des erreurs sur les données théoriques, et donc une erreur sur la réactivité obtenue, qu’il est important de pouvoir estimer, ne serait-ce que pour pouvoir comparer entre eux les résultats obtenus avec des méthodes différentes, ou encore pour pouvoir estimer l’universalité d’une méthode d’analyse, i.e. sa capacité à donner des résultats corrects dans des configurations de réacteur inédites. Ainsi, dans le cas particulier de la méthode k-prompt, des travaux datant de 2003, effectués par les inventeurs de la méthode, laissaient justement craindre l’existence d’un point faible de la méthode − une dépendance supposée forte d’une distribution théorique clef aux détails de la géométrie du réacteur − susceptible d’entraîner une erreur systématique de quelques pourcents à quelques dizaines de pourcents sur la réactivité. Pour résoudre ce problème de longue date, la méthode k-prompt dite « intégrale », mise au point pour le projet FREYA, a été mise à profit. En bref, cette méthode utilise une procédure de comparaison des données expérimentales et théoriques plus robuste que celle de la méthode classique, secondée par la méthode de propagation analytique des erreurs décrite ci-dessus. La méthodologie de l’étude a été la suivante : (i) génération de 100 modèles du réacteur VENUS-F, en tirant aléatoirement ses paramètres physiques clefs dans leurs barres d’erreurs ; (ii) comparaison des prédictions théoriques obtenues pour chaque modèle aux données expérimentales ; (iii) détermination des 100 valeurs de réactivité associées aux 100 modèles, cf. Fig. 3. Leur histogramme donne alors accès à la barre d’erreur systématique sur la réactivité après déconvolution des erreurs statistiques. Cette étude massive aura nécessité l’automatisation et la réécriture complète des étapes d'analyse. Le résultat obtenu a constitué une surprise : contrairement à l’idée admise, la méthode k-prompt s’est révélée peu sensible aux erreurs de modélisation du réacteur, un bon point pour son universalité.
De 2017 à 2018, l’équipe a par ailleurs commencé le développement d’une nouvelle méthode de mesure de la réactivité, qui s’appuie sur une corrélation simple découverte entre le coefficient kp et l’intervalle en temps écoulé entre une interruption faisceau et le barycentre des courbes de décroissance temporelles de la population de neutrons prompts. Cette nouvelle méthode de mesure, baptisée flash-kp, est extrêmement simple et rapide, suffisamment pour permettre une détermination en ligne de la réactivité. Cependant, cette simplicité a un prix : cette méthode n’est pour l’instant applicable qu’à un réacteur instrumenté avec des chambres à fission à seuil.
(Gauche) réactivités extraites et leurs erreurs statistiques (zone noire) obtenues pour 30 modèles aléatoires du réacteur VENUS-F, comparées à une valeur de référence (zone rouge).
(Droite) réactivités obtenues avec la méthode flash-kp (axe des ordonnées), comparées aux valeurs MSM de référence (axe des abscisses).
4. Modélisation, Analyse, Prospectives
Études de conception de SMR (Small Modular Reactors) à eau légère chargés en Thorium
Après la validation de la méthode simplifiée NDM (Nodal Drift Method) de calcul de cœurs en diffusion sur un benchmark de LOCA en CANDU, nous avons d’abord entrepris de développer le code BATH (Basic Approach to Thermal-Hydraulics) de calcul précis de la thermohydraulique. Une fois celui-ci validé, nous l’avons couplé à la NDM dans le but de simuler à l’échelle d’un cœur complet un accident d’éjection de grappes (accident dimensionnant des réacteurs à eau légère). La complexité d’une telle simulation nous a conduit à perfectionner la NDM, puis à valider son couplage avec BATH dans le cadre du benchmark international ²mini-core². En compétition avec d’autres codes, plus sophistiqués, notre approche académique, simplificatrice, s’est révélée très efficace. Dans l’optique d’appliquer tous ces outils performants à l’étude de petits cœurs (SMR) refroidis à l’eau légère pour le cycle thorium, l'équipe du LPSC a finalement mis au point une méthodologie complète de conception.
Vue d’ensemble de la démarche de conception en trois étapes mise en place, avec ses outils.
Dans la suite logique, au long cours, de tous les travaux menés depuis 2005 sur les réacteurs à eau et haute conversion, l'équipe a appliqué ces nouveaux outils à la conception de petits cœurs (d’une puissance de 600 à 900 MWth max.) utilisant le thorium. De tels cœurs sont du type SMR, dont la compétitivité est accrue par une fabrication possible en série notamment. Dans l’hypothèse probable d’un retard de la future génération de réacteurs et d’une contribution maintenue voire renforcée de l’électronucléaire dans le mix énergétique mondial, l’étude de tels réacteurs combinés au cycle thorium s’est d’autant plus imposée à nous qu’elle nous a permis de simplifier nos tests. Dans son travail de thèse, P. Prévot a ainsi pu optimiser la gestion de la réactivité de tels cœurs par des poisons consommables tout en minimisant le bore soluble et en vérifiant que les critères thermohydrauliques étaient satisfaits (cf. Fig. 4). Selon plusieurs critères (températures maximales, crise d’ébullition), les calculs d’éjection de grappes ont enfin permis une analyse comparative de la sûreté des différents réseaux testés (assemblages de 17x17, 19x19 ou 21x21 crayons), satisfaisante dans tous les cas.
Modèles multi-physiques best estimate pour les futurs réacteurs
Développement de modèles numériques pour les caloporteurs de type sels fondus à haute température et validation expérimentale
Cette action initiée fin 2014 s’inscrit dans le cadre du WP3 du projet européen SAMOFAR et porte sur l’amélioration des modèles numériques décrivant le comportement thermohydraulique des sels fondus et leur solidification.
Quelques résultats sur l’utilisation de poisons consommables pour la gestion de la réactivité, illustrant la finesse de nos calculs tant à l’échelle assemblage (a) qu’au niveau du cœur complet (b).
Les efforts de modélisation ont été focalisés sur les trois phénomènes clés : la turbulence, le changement de phase et le transfert radiatif et des expériences originales ont été conçues pour tester la validité de ces nouveaux modèles numériques. La Fig. 5 montre le résultat d'une expérience de solidification et ceux produits par le modèle de solidification MASOFOAM (Thèse M. Tano-Retamales 2015-18).
Exemple de comparaison entre le résultat d'une expérience de solidification avec rotation (à gauche) et les prédictions du modèle MASOFOAM.
Couplages neutronique, thermo-hydraulique et thermomécaniques
La modélisation multiphysique détaillée d’un réacteur nucléaire nécessite la résolution couplée des équations de transport de neutrons, thermo-hydrauliques et thermomécaniques. Le principal défi de ce type de modèle est lié à la prise en compte correcte des interactions complexes entre les divers phénomènes existant dans le réacteur qui ont en général des échelles de temps et des portées dans l’espace très différentes. Tel qu’illustré en Fig. 7, un couplage triple : neutronique, thermo-hydraulique et thermomécanique a été développé pour étudier différents systèmes nucléaires en conditions stationnaires ou transitoires. Ce modèle est utilisé pour étudier les accidents de criticité (Thèse J. Blanco 2017-20) des divers types d’installations nucléaires allant des piscines de combustibles nucléaire irradiés aux réacteurs de recherche, réacteurs à sel fondus ou encore des réacteurs pour la propulsion spatiale.
Schéma décrivant les couplages apparaissant dans les différents systèmes nucléaires
Modélisation des accidents graves : interaction corium-béton
Un volet récent de nos activités dans la modélisation multiphysique concerne les études de l’interaction qui se produit entre le corium et le béton lors d’un accident grave dans un réacteur nucléaire. Cette action menée dans le cadre d’une collaboration avec EDF (postdoc S. Jamet 2017-18) a abouti au développement d’un modèle numérique simplifié.
Propagation d'incertitudes en physique des réacteurs
L’équipe participe également au développement d’outils de propagation d’incertitudes dans les modèles multi-physiques, par exemple celles en lien avec les incertitudes de données nucléaires. Elle les applique à différents types de réacteurs, dans le cadre de collaborations avec des exploitants de réacteurs nucléaires comme EDF et l’ILL.
Études de scénarios technico-économiques
La place du nucléaire, de telle ou telle filière de réacteur et de telle ou telle gestion de combustible dans le future dépendront de leurs capacités à démontrer de la flexibilité et la robustesse à différentes échelles de temps et probablement de façons très différentes suivant les pays : sortie ou développement du nucléaire. L’équipe travaille sur ces sujets interdisciplinaires à travers différentes collaborations suivant les échelles considérées. D’une part, la question de la flexibilité d’exploitation quotidienne des réacteurs dépend de la pénétration des renouvelables variables et de la réponse des autres moyens de flexibilité (demand response, développement des réseaux, stockages, flexibilité des sources pilotables) qui sont pour certaines abordées dans le cadre du projet interdisciplinaire "EcoSesa" de l’IDEX Grenoblois. D’autre part, cette flexibilité se traduit par des incertitudes sur les taux de charges des réacteurs et donc sur leurs coûts, ce qui modifient leurs modèles économiques à long terme. Cette échelle longue est étudiée en collaboration avec les économistes de l’énergie et les physiciens des réacteurs, dans le cadre du projet de Prospective Énergétique du Carnot Énergie du Futur ou par des travaux autour de CLASS, l’outil de simulation de parc nucléaire du CNRS et de l’IRSN.