Historique du concept de Molten Salt Fast Reactor (MSFR) : réacteur à sels fondus en spectre neutronique rapide et en cycle thorium - (Page de bibliographie ici)
Historique : du MSBR au concept de MSFR - Etudes paramétriques
Dans le cadre des études de systèmes innovants pour la production d’énergie nucléaire, nous avons étudié l’utilisation du cycle thorium dans des Réacteurs à Sels Fondus (RSF). Ces réacteurs, utilisant un combustible liquide circulant dans un modérateur solide, ont été expérimentés avec succès dans les années 1960. Le projet de réacteur de puissance Molten Salt Breeder Reactor (MSBR) n’a cependant pas été retenu à l’époque. Bien qu’il ait été réévalué plusieurs fois au cours des dernières décennies, le MSBR souffre de plusieurs problèmes majeurs. En particulier, ce concept vise à obtenir la meilleure régénération, grâce à un retraitement du combustible très performant et donc très contraignant. Ce retraitement est considéré aujourd’hui comme irréalisable. De plus, les récentes réévaluations ont attribué au MSBR un coefficient de température total légèrement positif, et non négatif comme indiqué à l’époque. Cela en fait un réacteur éventuellement instable. Pour ces différentes raisons, le concept MSBR, bien que toujours considéré comme un des RSF de référence, ne peut pas aboutir à une installation industrielle. |
Dans l’optique de trouver des solutions à ces divers problèmes et de définir le concept de Thorium Molten Salt Reactor (TMSR), nous avons mené un certain nombre d’études sur le sujet. Comme tout réacteur nucléaire, le TMSR doit répondre à différentes contraintes, au-delà des critères établis par le forum international Génération-IV. L’étude que nous avons menée consiste à analyser simultanément l’impact de plusieurs paramètres du cœur sur l’ensemble de ces contraintes. Cette solution vise à éviter de se fourvoyer trop longtemps dans des axes de recherche prometteurs dans un domaine, pour découvrir plus tard leur incompatibilité vis-à-vis des autres critères. Un grand nombre de caractéristiques du cœur a été soumis à cette analyse, ce qui a permis de réaliser une étude paramétrique détaillée des RSF en cycle thorium, et de mieux comprendre les phénomènes physiques régissant leur comportement. Nous avons été amenés à élargir considérablement notre champ de recherche. Nos premières études concernant le rapport de modération, au-delà des études précédentes, ont montré un comportement du cœur inattendu. En particulier, l’évolution du taux de régénération n’est absolument pas monotone. Fort de cette expérience, nous avons étudié la variation de nombreuses caractéristiques du cœur sur une très large gamme (Figure 2).
Mises à part les configurations très thermalisées, le coefficient de température s’améliore lorsque la thermalisation diminue, et ce jusqu’au spectre rapide. Nous confirmons donc les mauvaises caractéristiques de sûreté du MSBR, dont le spectre n’était pas assez dur. Par ailleurs, grâce à l’augmentation du nombre de neutrons disponibles, le taux de régénération est bien meilleur pour les configurations rapides qu’épithermiques. Parallèlement à cela, le durcissement du spectre s’accompagne à la fois d’une réduction de la durée de vie du modérateur et du flux de graphite irradié à gérer, ainsi que d’une augmentation prévisible de l’inventaire de matière fissile. On retiendra que les autres paramètres géométriques, tels que le volume du cœur ou le découpage en zones de modération, permettent une amélioration des performances du réacteur. Il est par exemple possible de réduire l’inventaire par GWé par une augmentation de la puissance spécifique du cœur. Par contre, le problème posé
par l’irradiation du graphite ne trouve pas de solution très satisfaisante. Jouer sur le découpage du cœur en différentes zones de modération aplatit le flux et homogénéise les dommages reçus, mais ne change rien à la courte durée de vie du modérateur. La configuration la plus rapide, ne contenant pas de graphite en cœur dans les régions de flux intense, est la seule qui ne soit pas handicapée par ce problème.
Si le cœur est entouré d’une couverture fertile, il n’est nullement indispensable de recourir à un retraitement très efficace pour garder la régénération. En effet, un retraitement de l’ensemble du cœur en 6 mois est suffisant dans la plupart des cas standard, c’est-à-dire dont les pertes neutroniques par fuites ou captures dans le modérateur sont suffisamment faibles. Les bonnes performances dans ce domaine des configurations à spectre rapide leur permettent même de se passer de couverture fertile.
Toutes ces études nous ont apporté une compréhension nouvelle du comportement des RSF, depuis les spectres très thermalisés jusqu’aux spectres rapides. Les résultats obtenus marquent une rupture vis-à-vis des connaissances passées. L’association usuelle entre cycle thorium, RSF et spectre (épi)thermique est maintenant dépassée, puisque les spectres rapides donnent des résultats très satisfaisants, voire bien meilleurs. Ceci remet également en cause les conséquences d’un démarrage du réacteur avec du plutonium. Produisant trop de TRU en spectre (épi)thermique, cette voie ne peut à présent plus être ignorée pour les RSF à spectre rapide. Il existe maintenant des solutions aux problèmes soulevés par le MSBR. Les coefficients de température peuvent être rendus négatifs, soit par un durcissement du spectre neutronique, soit par un maillage plus serré du réseau modérateur. Le réacteur peut être régénérateur pour des retraitements plus simples que celui envisagé pour le MSBR, et ce grâce à une couverture en thorium (ou sans pour un réacteur à spectre rapide). Enfin, le problème posé par la courte durée de vie du modérateur peut trouver une solution avec la configuration rapide ne contenant pas de graphite en cœur.
Nous retiendrons de ce travail que des configurations très acceptables de réacteurs peuvent ainsi être définies, répondant au mieux aux différentes contraintes, et ce pour tout type de spectre neutronique. Sans négliger les autres solutions, notre attention se porte plus particulièrement sur celle composée d’un canal unique de sel dans sa version conventionnelle ou très haute température.
Equipe de recherche : membres permanents
- Allibert Michel -- Collaborateur bénévole et expert (email :
Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser. ) - Heuer Daniel -- Directeur de Recherche émérite CNRS
- Laureau Axel -- Chargé de Recherche CNRS -- 04 78 28 41 60
- Merle Elsa -- Professeur Grenoble INP -- 04 76 28 41 50 (Responsable d'équipe)
Equipe de recherche : doctorants et post-doctorants
- Begue Max -- Doctorant CNRS/LPSC et Orano -- 04 76 28 40 47
- Clot Louiliam -- Doctorant CNRS/LPSC et Orano -- 04 76 28 40 47
- Halwani Jad -- Doctorant CNRS SUBATECH / LPSC (basé à SUBATECH Nantes de novembre 2023 à mars 2025)
Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser. -- Postdoctorant jusqu'à février 2024 (ensuite chercheur IRSN -Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser. ) -- 04 76 28 41 60- Maitre Anna -- Doctorante CEA et CNRS/LPSC (basée au CEA Cadarache d'avril 2025 à septembre 2026) -- 04 76 28 40 35
Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser. -- Postdoctorant CNRS / NAAREA (localisé chez NAAREA Nanterre)Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser. -- Doctorant CNRS/LPSC et Framatome Lyon -- 04 76 28 40 35
1. Introduction : le concept de Molten Salt Fast Reactor MSFR
Depuis plus de 15 ans, l’équipe MSFR du LPSC étudie un concept innovant de réacteur nucléaire nommé réacteur à sels fondus (ou MSR pour Molten Salt Reactor en anglais), axé sur la sûreté intrinsèque et la réduction des déchets radioactifs. Ce réacteur est basé sur un combustible liquide circulant entre le cœur et les échangeurs de chaleur, ce liquide remplissant à la fois le rôle de combustible et de caloporteur. Les études pilotées par le LPSC et menées jusqu’à présent au niveau local, national et international (projet européen SAMOFAR en cours, Forum International Génération 4, AIEA), ont majoritairement porté sur un réacteur de puissance élevée (3 GWth) fonctionnant en cycle du combustible Thorium, visant à définir les configurations d’un tel réacteur d’intérêt. Les réacteurs à sels fondus (RSF) sont un des six candidats retenus par le forum international Génération IV en tant que concepts prometteurs pour les réacteurs nucléaires du futur.
2. Proposition d'un design intégré du MSFR
Dans le cadre du projet SAMOFAR l'équipe a proposé un design intégré du MSFR qui a pour but principal d’éliminer le risque de fuite du sel combustible. Ce design a fait l’objet du livrable 1.1 de SAMOFAR et sert de référence pour toutes les études de sûreté réalisées dans ce projet.
Design intégré du MSFR.
À gauche un secteur de refroidissement et à droite la disposition générale des secteurs dans la cuve réacteur. Les blocs roses autour de la cuve réacteur sont des réservoirs de stockage du sel.
La figure ci-dessus représente l’idée générale de ce design intégré. Le sel combustible est entièrement contenu à l’intérieur d’une cuve dans laquelle des secteurs de refroidissement sont insérés. Ces secteurs de refroidissement comprennent la couverture fertile, une pompe pour forcer la circulation du combustible, un échangeur de chaleur refroidi par le sel intermédiaire et une protection neutronique entre la couverture fertile et l’échangeur. Les secteurs de refroidissement sont disposés à la périphérie de la cuve de manière à ne laisser dans le centre de la cuve que du sel combustible correspondant au cœur du réacteur où ont lieu les fissions.
Simulateurs pour des études de design et de pilotage
Deux types de simulateurs du MSFR sont en cours de développement dans l’équipe. L’un est statique et a pour but de rechercher les configurations les plus optimales du design en fonction de critères préétablis. L’autre, dit dynamique, a pour but de permettre une simulation en temps réel et des études de pilotage du réacteur en situation normale et incidentelle.
Code système statique
Le code statique permet de déclarer des paramètres décrivant le réacteur et les méthodes de calcul associées. Les paramètres dont le calcul n’est pas possible directement sont dits libres et doivent être fixés arbitrairement. Par ailleurs des contraintes sont déclarées indiquant des valeurs cibles pour certains paramètres et une tolérance autour de ces valeurs cibles. Un algorithme génétique recherche enfin le jeu de valeurs des paramètres libres réalisant au mieux les contraintes fixées.
Ce code peut être utilisé, par exemple, pour configurer les échangeurs de chaleur en intégrant la géométrie complète du réacteur et en recherchant le meilleur mode de fonctionnement possible. Les contraintes, dans ce cas, sont des vitesses limites de circulation des fluides, des températures critiques à ne pas dépasser et des pertes de charge maximum.
Code système dynamique
Ce code système dynamique, correspondant à un simulateur de fonctionnement du réacteur, est en cours de développement. Le circuit combustible y est modélisé par le code LiCore développé par A. Laureau durant sa thèse, code basé sur un modèle de cinétique point amélioré afin de prendre en compte la circulation du combustible hors cœur. Un premier modèle simplifié des circuits intermédiaire et de conversion de l’énergie sont implémentés dans le code LiCore, qui permet de calculer le comportement du réacteur en temps réel. Des collaborations sont en cours pour compléter et améliorer cette modélisation des circuits intermédiaire et de conversion, d’une part avec l’entreprise CORYS, leader européen du développement de simulateurs de centrales nucléaires, d’autre part avec Politecnico di Milano dans le cadre du projet européen SAMOFAR.
Approche de sûreté et analyse de risques
Comme tout réacteur nucléaire de quatrième génération, le MSFR doit répondre à différentes contraintes dont une sûreté optimale. La sûreté du MSFR est étudiée dès les premiers stades de conception du réacteur afin d’être intégrée au design lors de sa définition plutôt qu’ajoutée a posteriori. En raison de ses spécificités, en particulier l’état liquide du combustible, et du stade préliminaire de son design, l’analyse de sûreté du MSFR a nécessité la mise au point de méthodologies d’analyse de sûreté adaptées et technologiquement neutres, travail piloté par l’IRSN et réalisé au sein du projet européen SAMOFAR et dans la thèse de D. Gérardin effectuée au LPSC et soutenue fin 2018.
Une première application de cette méthodologie a été également réalisée, afin d’identifier les évènements initiateurs d’accident, qui sont les points de départ des séquences accidentelles. Pour cela, les méthodes d’analyses de risques du Master Logic Diagram (MLD) et d’analyse fonctionnelle ont été utilisées, en collaboration avec Framatome et Politecnico di Torino. Les familles d’événements initiateurs identifiées pour le MSFR sont les suivantes :
- Insertion de réactivité
- Augmentation de l’extraction de chaleur/Sur-refroidissement
- Perte de débit combustible
- Diminution de l’extraction de chaleur
- Perte d’étanchéité du circuit combustible
- Perte du contrôle de la composition/chimie du sel combustible
- Surchauffe des structures du circuit combustible
- Perte du refroidissement des autres systèmes contenant des matières radioactives
- Perte du confinement des matières radioactives dans d’autres systèmes
- Dégradation mécanique du circuit combustible
- Perte du contrôle de la pression dans le circuit combustible
- Fuite du circuit de conversion
- Perte de l’alimentation électrique.
Proposition de barrières de confinement de la radioactivité pour le réacteur MSFR
Puis, une évaluation préliminaire de la fréquence d’occurrence et des conséquences de ces évènements a été menée afin de sélectionner une liste resserrée d’évènements les plus pertinents qui devra être étudiée dans la suite de l’analyse de sûreté. Cette évaluation de la gravité des événements initiateurs vise à définir si des dispositions de prévention doivent être implémentées pour proposer des dispositifs de mitigation adaptés.
Enfin, une première ébauche de l’architecture de sûreté du réacteur a été proposée. Elle est obtenue en appliquant la notion de défense en profondeur au MSFR. Celle-ci prévoit l’implémentation d’une série de mesures incluant des barrières de confinement physiques et robustes et des systèmes de sûreté divers et redondants. Dans cette optique, plusieurs propositions sont faites pour définir les barrières de confinement du MSFR (voir Figure 2). Ensuite, la méthode des Lignes De Défense (LDD) est employée pour définir des dispositions de sûreté adaptées aux différentes familles d’évènements initiateurs et vérifier la concordance de l’architecture de sûreté proposée avec le concept de défense en profondeur. Un des résultats de l’analyse de risque réalisée est effectué actuellement et a pour objectif d’améliorer le design du réacteur proposé en début d’analyse de risque. Des propositions d’améliorations sont en cours d’identification : l’ajout de composants est proposé, des designs alternatifs sont présentés et les manques de connaissances sur certains phénomènes ou procédures sont soulignés afin de guider les études futures.
3. Réacteurs à sels fondus et Small Modular Reactor
L’augmentation de la part des énergies renouvelables dans la production électrique, en particulier dans les pays de l’OCDE, et le manque actuel de perspective pour un stockage économique de l’énergie, nécessitent le maintien de sources de production de base ayant une grande flexibilité de production. Le nucléaire étant la principale source de production de base non carbonée, les réacteurs de quatrième génération devront être capables de modifier rapidement leur puissance afin de venir compléter la production des sources intermittentes telles que l’éolien et le photovoltaïque. Ceci crée de nouvelles problématiques et ainsi de nouvelles thématiques de recherche. Il est ainsi nécessaire d’imaginer et de développer des systèmes nucléaires innovants permettant de contribuer à ce nouveau mix énergétique tout en étant acceptables du point de vue de la sûreté, des déchets et du coût. Pour cela des concepts de réacteurs modulaires de faible puissance (les Small Modular Reactors - SMRs) sont envisagés. Dans ce contexte, Framatome a identifié le concept de MSFR comme très prometteur et a souhaité s'impliquer avec le CNRS au travers de la thèse de J. Martinet cofinancée Framatome/Initiatives de Recherche Stratégiques (IRS) de l’IDEX de l’Université Grenoble Alpes. Ces travaux de thèse portent sur des études visant à définir un réacteur MSFR de plus faible puissance (quelques centaines MWél) et utilisant le cycle du combustible U/Pu plus rapidement accessible, concept dit S-MSFR pour Small-MSFR.