1. Introduction

Les observations astrophysiques convergent depuis plusieurs décennies vers un modèle standard cosmologique et justifient l’hypothèse de l’existence de matière sombre aussi bien à grande échelle qu’à l’échelle locale de notre galaxie. La détection directe des particules constituant cette matière est un défi majeur de la physique. Les neutrons et les neutrinos par leur dispersion cohérente sur les noyaux constituent un fond ultime pour ce type de détection. Le projet MIMAC (MIcro-tpc MAtrix of Chambers) développe un détecteur directionnel de matière sombre, permettant ainsi de compter sur une signature nouvelle, unique et nécessaire, la directionnalité, afin de corréler le mouvement relatif de notre système solaire autour du centre galactique avec l’évènement rare détecté dans le détecteur.

L’état actuel de la recherche directe de matière sombre non-baryonique se repose sur des efforts considérables afin de détecter des reculs nucléaires qui proviendraient de collisions élastiques avec des WIMPs (Weakly Interacting Massive Particles) en les discriminant du fond. Ces évènements seront des « candidats » à valider par les autres expériences de détection directe mais la seule signature convaincante de la provenance d’une collision avec un WIMP du halo galactique est la directionnalité. En parallèle, la recherche de reculs nucléaires de basse énergie (E< 10 keV) présente la difficulté additionnelle du "quenching" en ionisation et en scintillation qui limitent le signal accessible à la détection et qui en général sont estimés ou mesurés avec des incertitudes importantes. Le paramètre de découverte est la trace de recul qui serait corrélée à la direction définie par la tangente à l’orbite de notre système solaire autour du centre galactique, qui est par ailleurs identifié par la direction de la Constellation du Cygne. Les directions des noyaux de reculs permettent la construction d’une carte en coordonnées galactiques des événements. Nous avons également montré que la directionnalité ouvre la voie d’une caractérisation de la masse de la particule et de la forme du halo galactique.

Le projet MIMAC (Micro-tpc Matrix of Chambers) propose de construire une grande matrice de micro-TPC à basse pression (50 mbar) afin de détecter par ionisation les traces de reculs nucléaires en 3D. Les noyaux cibles peuvent être changés en masse et/ou spin afin d’optimiser le transfert d’énergie cinétique et la section efficace d’interaction. Les noyaux cibles privilégiés pour l’instant ont été : 19F, 12C, 1H, 4He.

La matrice est conçue à partir des modules bi-chambres (deux chambres avec une cathode commune) identiques qui nous permettront de mieux contrôler le fond intrinsèque et pouvoir faire la coïncidence entre les différentes chambres. Le détecteur de chaque chambre est une micro-TPC, type Micromegas pixélisée (IRFU-Saclay), couplée à une électronique rapide auto-déclenchée qui a été spécialement développée par le LPSC- Grenoble pour ce projet.

2. Le prototype de module bi-chambre de MIMAC

En juillet 2012, nous avons installé le premier module bi-chambre au Laboratoire Souterrain de Modane (LSM). Nous avons constaté une excellente stabilité du gain en fonction du temps grâce à un système de circulation du gaz spécialement développé pour notre projet. L’étalonnage s’effectue par fluorescence, produite sur des feuilles de Cd, Fe et Cu, grâce à un générateur de rayons X, et ce avec une fréquence hebdomadaire. Nous avons amélioré l’installation en janvier 2016, voir figure. Depuis, le prototype bi-chambre fonctionne en permanence avec toujours un étalonnage hebdomadaire. Les données ont donné lieu à un article sur la progénie du Rn (voir point IV) et continue à nous fournir des données sur le fond au LSM et qui sont analysées par l’équipe.

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 Prototype MIMAC bi-chambre installé au LSM (2016-2018)

3. Développement de la ligne de quenching COMIMAC

 La mesure du facteur de quenching en ionisation est fondamentale dans le domaine de la détection directe de matière sombre puisque les noyaux de reculs sortant éventuellement d’une collision élastique avec un WIMP laissent une énergie en ionisation différente de l’énergie cinétique. Le rapport entre l’énergie en ionisation laissée dans le détecteur et l’énergie cinétique initiale de la particule est définie comme le facteur de quenching en ionisation. En particulier, dans un gaz, ce facteur de quenching dépend de l'énergie du noyau de recul, de l’état de pureté du gaz et de la pression.

L'équipe a construit une ligne de quenching afin de pouvoir mesurer les facteurs de quenching in-situ pour contrôler à tout moment les facteurs de quenching du gaz d’un détecteur installé dans un laboratoire souterrain. Cette mesure, au même titre que l’étalonnage en énergie permet de valider le bon fonctionnement du détecteur.

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Vue de la ligne expérimentale COMIMAC installée au LPSC

La discrimination électron-recul

La discrimination électron-recul, une des clés majeures de la détection directe de matière sombre, a été mesurée dans le mélange gazeux de MIMAC avec des neutrons rapides monochromatiques sur l'installation Amande (IRSN) grâce à une analyse en Boost Decision Trees (BDT) faite par Quentin Riffard et publié en 2016.

Première mesure de traces en 3D de reculs nucléaires provenant de descendants du 222Rn

Cette mesure est réellement unique puisqu’elle constitue une validation de la capacité à mesurer des traces en 3D de basse énergie, ainsi que leur énergie en ionisation. Ces événements, dont l’énergie cinétique se trouve dans la plage comprise entre 100 et 146 keV, ne laissent en ionisation que ~30 à ~45 keV dans la micro-TPC et constituent un fond qui se trouve dans tous les détecteurs, pouvant ainsi servir de « benchmark ». Cette mesure a été publiée en 2017.

Simulation comparée des différentes techniques directionnelles (cristaux, émulsions et TPC)

Le travail de l'équipe a conduit à la publication d'un article montrant clairement que l’information directionnelle du recul nucléaire est « préservée » uniquement dans le cas d’une TPC à basse pression comme MIMAC.

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Comparaison de l’observable “directionnelle” définie afin de comparer la préservation de l’information directionnelle entre les différents milieux de détection

Le signal cathode

Le signal induit par le mouvement des électrons primaires pendant leur collection vers la grille, visible avant l’avalanche, a été validé et utilisé pour une mesure de la vitesse de collection de charges dans une chambre de MIMAC.

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(Gauche) Le signal cathode, en rouge, produit par le mouvement des électrons primaires.
(Droite)
Ce signal ouvre la possibilité de placer les traces en 3D dans le volume de détection

Un nouveau détecteur bas-bruit

Un nouveau détecteur bas-bruit (BB) a été développé grâce à un financement du Labex Enigmass. Un nouveau détecteur type Micromegas a été développé pour MIMAC par O. Guillaudin (LPSC) en utilisant du Plexiglass et du Kapton à la place du PCB. La validation de la qualité des traces a été faite en janvier 2017 pour le prototype 10 cm x 10 cm. Le design du détecteur de 35 x 35 cm2 a été finalisé en novembre 2017 et ses éléments sont actuellement en phase de fabrication, tout comme l’électronique nécessaire pour son utilisation.

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(Gauche) Nouveau détecteur Bas-Bruit (10 cm) développé au LPSC par O. Guillaudin.
(Droite) Spectre de rayons X de la source de55Fe (5,96 keV) qui montre une résolution de 16% (FWHM)

Collaboration avec l’Université de Tsinghua 

La présence de Charling Tao à Pékin comme professeur à l’Université de Tsinghua nous a permis d’établir une collaboration très riche entre les deux équipes. Un post-doc de trois ans ainsi qu’une thèse sont financés par Tsinghua pour travailler sur MIMAC (respectivement Dr. Igor Moric et M. Yi Tao). Ces deux collaborateurs sont venus à deux reprises pendant plusieurs mois au LPSC en 2017 pour participer à l’analyse de données et aux expériences sur LHI et COMIMAC et ont travaillé sur la détermination de la longueur de traces et la résolution angulaire. Les articles sont en préparation.

Mesure expérimentale de la résolution angulaire de MIMAC sur LHI (LPSC)

Nous avons couplé une chambre MIMAC à la ligne expérimentale COMIMAC en janvier 2017 afin de mesurer la résolution angulaire de la mesure de traces en 3D obtenue avec celle-ci (voir figure 6). Elles confirment la possibilité d'obtenir une détection directionnelle avec une résolution angulaire suffisante. Le papier Y. Tao, I. Moric et al, a été soumis à JCAP en décembre 2018.

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Résolution angulaire mesurée en fonction de l’énergie pour des traces de19F produites par COMIMAC et LHI (Ligne Haute Intensité du Pôle Accélérateurs et sources d'ions)

Valorisation de MIMAC et COMIMAC

Un contrat de collaboration a été signé entre le laboratoire de métrologie de l’IRSN (LMDN) et le LPSC en 2010 pour 5 ans afin de démontrer que notre détecteur prototype MIMAC peut devenir un étalon primaire pour la caractérisation de champs neutroniques rapides. En 2016 nous avons signé une prolongation de ce contrat. Deux thèses sur ce sujet sous la direction de D. Santos ont été financées entre 2013 et 2018. La démonstration de la mesure de neutrons rapides dans la plage de basse énergie (27 keV et 127 keV) a été faite dans le cadre d'une thèse, soutenue en décembre 2015 et la validation expérimentale de la spectroscopie neutronique jusqu’à 6,5 MeV a été faite par Benjamin Tampon qui a soutenu sa thèse en décembre 2018.

4. Le projet NEWS-G (New Experiments With Sphere-Gas)

L'équipe participe à une recherche directe non-directionnelle à basses masses de WIMPs (projet NEWS-G (New Experiments With Sphere-Gas) basée sur un détecteur sphérique mono-voie dont le senseur est une simple bille placée en son centre. Ce détecteur sphérique, actuellement en cours de construction, sera installé durant 2020 au SNOLAB (Sudbury-Canada). Pour ce projet, il a été obtenu un financement ANR en Octobre 2015 (ANR-NEWS). Cette ANR est portée par Loannis Giomataris de l’IRFU-CEA Saclay.

Au sein de la collaboration NEWS-G, l'équipe du laboratoire a endossé la responsabilité de la mesure du facteur de quenching en ionisation jusqu’à très basse énergie (~100 eV) et ce grâce notamment aux possibilités offertes par notre ligne COMIMAC. Les mesures réalisées couvrent plusieurs noyaux cibles (4He, 1H, 20Ne, 19F). Dans le cadre de l’ANR-NEWS, l'équipe a spécifiquement conçu une chambre d’ionisation sphérique, d’un diamètre de 30 cm, capable de supporter une pression jusqu’à 10 bar et couplée à notre ligne COMIMAC grâce à une interface unique et originale.

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La nouvelle sphère de 30 cm couplée à la ligne de quenching COMIMAC au LPSC

Au cours de ces 4 dernières années, plusieurs campagnes de mesures des facteurs de quenching, notamment dans le 20Ne + 0,7% CH4 et dans le CH4 pur, ont été réalisées. Enfin, ce dispositif a également été utilisé pour tester de nombreuses versions de senseurs développés par les équipes de l’IRFU et par celles de l’Université de Tessalonique.

5. Projet de valorisation MIMAC-FastN

Le projet MIMAC-FastN a pour objectif de valoriser une instrumentation développée au LPSC dans le cadre du projet MIMAC pour la détection directionnelle de matière noire non baryonique, en un spectromètre directionnel mobile de neutrons rapides, sur une large plage en énergie, de 10 keV à 600 MeV. Ce projet a fait l'objet d'un programme de prématuration de la direction de l'innovation et des relations avec les entreprises du CNRS en 2015, qui a permis d'aboutir à l'intégration à un programme de maturation de la société d'accélération de transfert de technologies (SATT) Linksium depuis septembre 2017. Ce programme vise à explorer la viabilité d'une potentielle start-up en vue de l'entrée dans un programme d'incubation.

Le travail accompli en 2017 et 2018 a permis de mettre en évidence, par simulation Monte Carlo et par mesure, une spécificité induite par la stratégie de détection 3D du système : la capacité à mesurer l'énergie de neutrons de plus de 5 MeV. Des mesures réalisées au CERN/CERF en juin 2018 jusqu'à 200 MeV ont validé la stratégie de détection, qui confère à l'appareil sa gamme de mesure étendue, unique sur le marché de la détection neutronique. Cette stratégie a fait l'objet d'un dépôt de brevet.

Une étude de marché a été réalisée en partenariat avec un prestataire de Linksium, avec pour objectif d'identifier les cas d'usage et de mesurer l'intérêt des potentiels clients pour les marchés visés. Cette étude a conduit à l'exposition de notre démonstrateur au salon mondial du nucléaire en juin 2018.

Les campagnes de mesure réalisées en 2017 et 2018 ont permis de réaliser la preuve de concept de l'appareil : reconstruction de spectres neutroniques mono-énergétiques avec des réactions D(d,n) et T(d,n) sur les installations d'AMANDE de l'IRSN et de GENEPI du LPSC, de 1 MeV à 15 MeV ; reconstruction de spectres neutroniques poly-énergétiques, avec une source de 252Cf, au CERF (spectre de neutrons cosmiques), et au CAL (Centre Antoine Lacassagne à Nice).

Le développement d'un nouveau logiciel d'acquisition, associé à des évolutions sur la logique d'acquisition du FPGA et au développement d'un algorithme pour gérer l'empilement, permettent d'envisager des mesures dans des environnements avec des flux neutroniques plus élevés. Ces évolutions ont été testées lors de campagnes de mesure au CERF, et sur l'installation ALPHEE de l'IRSN.

Notre intégration à EURADOS (European Radiation Dosimetry Group) nous a ouvert de nouvelles opportunités, dans le cadre des projets de caractérisation des neutrons de haute énergie et des neutrons cosmiques.