Principe général
La simulation d'un réacteur s'appuie sur des données physiques :
- les constantes de décroissance radioactive - elles sont regroupées dans une base de données, JEFF3T, dans laquelle on trouve, pour chaque noyau, ses modes de décroissance et leur période.
- les sections efficaces d'interaction avec les neutrons - il y a plusieurs bases de données de sections efficaces. Elles ont été établies à partir de mesures, et de calculs, suivant des modèles généralement acceptés par les physiciens - il s'agit de bases de données évaluées. Elles donnent les sections efficaces de réaction des différents noyaux (celles qui nous intéressent ici sont les interactions avec les neutrons) pour une plage d'énergie de la particule incidente (dans le cas qui nous intéresse, de 0 à 20 MeV- notons qu'on s'intéresse à des énergies plus élevées pour la spallation ; les sections efficaces pour les hautes énergies ne sont pas disponibles, mais des modèles permettent de les calculer, nous utilisons MCNPX pour cela). Les bases de données que nous utilisons sont ENDF/B-VI, la base américaine, JENDL3.2, la base japonaise, et JEF2.2, la base européenne. Aucune n'est complète, elles ne sont pas toutes en accord. Ainsi, il faut aller chercher les sections efficaces dans les différentes bases de données selon leur disponibilité, et selon la qualité qu'on leur prête, par exemple grâce à des mesures de vérification que l'on a pu faire pour un élément donné, sur une gamme d'énergies particulière.
La simulation neutronique d'un réacteur comporte deux étapes, ou aspects, bien distincts, à ceci près que les résultats de chacune des étapes fournissent les données d'entrée de l'autre.
- Par un calcul de transport de neutrons, on parvient à une estimation du flux de neutrons dans les différentes parties du réacteur, ce qui permet d'évaluer les sections efficaces moyennes d'interaction des composants dans le flux, et d'évaluer la criticité du réacteur. Il s'agit là d'un instantané, en quelque sorte d'une photo, du comportement des neutrons dans les matériaux qui constituent le réacteur à un instant donné. Ce calcul repose sur le tirage au sort de neutrons dont on suit l'historique, de leur « naissance » à leur « mort ». C'est un calcul au caractère probabiliste.
- La matière contenue dans le réacteur est soumise au flux de neutrons, sa composition évolue au cours du temps. Les neutrons provoquent des réactions de fission, des réactions (n,g), (n,2n), etc. En outre, les composants radioactifs subissent des désintégrations. La seconde étape du calcul consiste à suivre l'évolution de la matière au cours du temps dans les différentes zones du réacteur, à partir des sections efficaces moyennes d'interaction obtenues dans la première étape, et des constantes de décroissance radioactive. Il s'agit ici d'un calcul déterministe, l'intégration de l'équation d'évolution qui donne, pour chaque noyau dans le milieu, les interactions qui peuvent faire disparaître ou créer un tel noyau. On a ainsi, pour un noyau de type il'équation :
avec :
: le nombre de noyaux de l'élément i à l'instant t
: le nombre de neutrons source par seconde
: le flux de neutrons par neutron source
: le rapport d'embranchement de la réaction menant du noyau j vers le noyau i
: le taux moyen de réaction sur le noyau j conduisant au noyau i
: le rapport d'embranchement de décroissance du noyau j conduisant au noyau i
: la constante de décroissance du noyau j
: le taux moyen de réaction d'absorption d'un neutron par le noyau i
: la constante de décroissance totale du noyau i
Ce qui donne, sous forme matricielle :
où le vecteur représente l'ensemble des noyaux d'un élément de volume et A la matrice des coefficients (sections efficaces moyennes, décroissances radioactives).
Pour le cas particulier des réacteurs à sels fondus (RSF), nous avons été amenés à ajouter un terme d'alimentation à cette équation, qui devient :
où est un vecteur qui donne le nombre de noyaux ajoutés ou retirés de l'élément de volume par unité de temps, donc un débit.
Les deux étapes du calcul sont fortement reliées :
- le calcul de transport de neutrons suppose connue la composition de chaque partie du réacteur
- le calcul d'évolution suppose connues, outre les décroissances radioactives des éléments susceptibles de se désintégrer, les sections efficaces moyennes d'interaction avec les neutrons de tous les noyaux susceptibles d'être présents dans l'élément de volume.
Ainsi, les résultats d'une étape servent d'entrée à l'autre, une simulation consistera à alterner entre ces deux étapes, en s'assurant que la précision de calcul souhaitée est conservée d'étape en étape, c'est-à-dire tout au long de la « vie » du réacteur simulé.
Notre groupe a développé un ensemble d'outils informatiques, des modules, qui nous permettent d'automatiser nos simulations de réacteurs et d'engranger, tout au long, les résultats obtenus. Ils ont des noms à 3 caractères : CGM, LFE, ACE, LTM, DPH, IME, REM. Ils sont decrits succintement ici, des liens renvoient sur une description plus détaillée. Nous utilisons également des programmes développés dans d'autres equipes, tels MCNP, NJOY, MCNPX.
Le calcul du transport de neutrons est réalisé au moyen du programme MCNP (Monte Carlo N Particles) développé au LANL (Los Alamos National Laboratory, USA). C'est un code reconnu et validé, utilisé dans les domaines où interviennent des flux de particules (physique des réacteurs, médecine, ...). L'intégration de l'équation d'évolution est faite par un des modules que nous avons développés, IME.
Nos outils permettent de piloter les calculs par la précision, c'est-à-dire de contrôler la fréquence des calculs de flux (calcul MCNP) et par conséquent les durées d'intégration de l'équation d'évolution, en fonction des résultats obtenus, c'est-à-dire en fonction du comportement du réacteur au cours du temps. Lorsque le réacteur tend vers l'équilibre, le flux change peu, la composition se stabilise, les pas d'intégration s'allongent. Par contre, dans les phases transitoires (démarrage, situation accidentelle, ...), tout change très vite, il faut recalculer les flux en fonction des compositions changeantes.
Déroulement d'une simulation
On se fixe la description géométrique du réacteur, de ses différentes zones : la forme extérieure, les différentes parties - combustible, structure, modérateur, caloporteur, réflecteurs, etc. Chacune de ces parties peut être subdivisée en zones, par exemple parce que leur température de fonctionnement est différente - les températures de fonctionnement sont fixées à priori. L'ensemble de ces volumes (forme, position) est passé au module CGM qui crée, à partir de ces informations, les éléments de volume élémentaires, dans un format compréhensible par MCNP.
Chacun des éléments de volume a une composition au démarrage : la composition de départ du combustible, de la structure, du modérateur, du caloporteur, des réflecteurs... est fixée à priori. Cette composition va évoluer au cours du temps, sous l'influence du flux de neutrons (fissions, réactions (n,2n), (n,g)) et du fait des désintégrations radioactives. De nouveaux éléments vont apparaître. Le module REM construit, de proche en proche, pour chaque type de composant (ou composite) et chaque zone de température, un arbre d'évolution, qui comprend tous les noyaux susceptibles d'être présents dans le volume considéré. Pour connaître les interactions possibles, et leurs produits, REM interroge le module ACE, en lui précisant, par ordre de priorité, les bases de données dans lesquelles chercher. Pour connaître les décroissances radioactives, REM interroge le module DPH. Nous avons introduit, en plus, des décroissances radioactives fictives, afin de pouvoir suivre l'évolution de noyaux extraits, (produits de fission dans un réacteur à sels fondus, par exemple). Ces décroissances fictives participent, elles aussi, à la construction de l'arbre d'évolution, elles conduisent vers des noyaux qui ne peuvent pas interagir avec les neutrons (ils sont mis « hors flux ») mais qui peuvent se désintégrer.
Au fur et à mesure de la construction de l'arbre d'évolution, ACE est interrogé sur les interactions possibles. Il en profite pour construire, en faisant appel au programme standard NJOY, les fichiers de sections efficaces de chaque noyau aux températures demandées. Ces fichiers seront utilisés par MCNP pour le calcul du transport de neutrons et des sections efficaces moyennes d'interaction.
REM construit ainsi la liste de tous les noyaux susceptibles d'être présents, au cours de la « vie » du réacteur, pour chaque composite et chaque zone de température. Ceci sert de fondement au « vecteur composition » qui est ...
- ... utilisé pour donner à MCNP la composition de chaque élément de volume élémentaire construit par CGM.
- ... la base du vecteur de l'équation d'évolution.
Reste à définir quelles sont les quantités qu'on demande à MCNP d'évaluer - les tallys. On lui demande en général :
- Le flux moyen - c'est le flux moyen par neutron, il faut le multiplier par le nombre de neutrons source pour obtenir le flux total.
- Les sections efficaces d'interaction moyennes de toutes les interactions possibles pour tous les noyaux de l'arbre d'évolution dans l'élément de volume.
- La réactivité - qui sera aussi évaluée par IME
Les phases préparatoires au calcul de simulation étant achevées, la boucle de calcul peut démarrer. C'est REM qui la contrôle, selon les consignes spécifiées par le programme appelant.
- calcul MCNP : REM fournit à CGM les compositions des éléments de volume et les tallys qu'il faudra calculer, et demande à CGM de construire le fichier de commande pour MCNP. REM lance le calcul MCNP. Quand le calcul est terminé, REM demande à LTM de lire les résultats MCNP et de les lui passer.
- intégration de l'équation d'évolution : à partir des tallys rendus par MCNP et des décroissances radioactives, REM construit la matrice A d'évolution pour chaque zone de température de chaque composite. REM passe à IME la matrice A, le vecteur composition courant et le vecteur d'alimentation des différentes zones, et lui demande de faire l'intégration sur une certaine durée, temps au bout duquel un calcul MCNP sera effectué avec le nouveau vecteur composition. On appelle cette durée un ``pas MCNP''.
Contrôles de précision, archivage de résultats
Notons que REM passe à IME des consignes de précision à respecter, qui ont pour effet de déterminer les pas d'intégration qu'IME utilise. REM spécifie également des instants auxquels les paramètres globaux du réacteur (puissance, réactivité) doivent être évalués, leur précision controlée. C'est ce que nous appelons des temps d'ajustement, ce sont des instants où des ajustements du fonctionnement du réacteur sont possibles. L'espacement des temps d'ajustement varie en fonction de la stabilité des paramètres du réacteur, les consignes spécifiées devant toujours être respectées. Chaque fois qu'un ``temps d'ajustement'' est atteint, les résultats (puissance, réactivité, composition de chaque cellule, alimentation) sont mémorisés (par une procédure de REM qui est invoquée par IME). REM définit aussi un temps de synchronisation, mesuré en temps absolu depuis le démarrage de la simulation. Lorsque cet instant est atteint, une procédure de REM est invoquée, qui, comme aux ``temps d'ajustement'', mémorise les résultats et spécifie le prochain ``temps de synchronisation''. Ainsi, on dispose de mesures à des instants précis, avec les temps de synchronisation, et de mesures qui reflètent la dynamique du réacteur, avec les temps d'ajustement.
Des contrôles de précision sont effectués aussi sur l'évolution des vecteurs de composition, si bien que le pas MCNP varie, lui aussi, en fonction de la dynamique du réacteur.
L'ensemble des étapes du calcul est résumé dans le schéma de principe ci-dessous.