I. Observatoire Rubin et le relevé LSST (cosmologie, broker d'alertes et sursauts orphelins)

II. Rayonnement cosmique (avec AMS-02) et détection indirecte de matière noire

III. Projet DIRAC (ressources informatiques distribuées)


I. Observatoire Rubin, relevé LSST et énergie noire

La cosmologie observationnelle, et en particulier les observations de supernovae lointaines, a montré que l’Univers était en expansion accélérée. Cette accélération peut être expliquée par l’ajout d’une composante énergétique de pression négative, semblable à une constante cosmologique, mais d’origine inconnue. Pour mieux comprendre la nature de cette énergie noire et l'ensemble du modèle cosmologique, le Legacy Survey of Space and Time (LSST), qui sera mené à l’Observatoire Vera C. Rubin, va permettre de tracer l’histoire de l’expansion de l’Univers, via un certain nombre de sondes cosmologiques. Ce télescope de 8 m de diamètre situé dans le désert d’Atacama, au Chili, va observer un tiers du ciel, deux à trois fois par semaine, pendant dix ans, et détectera des centaines de milliers de supernovae et des milliards de galaxies. La Dark Energy Science Collaboration (DESC) coordonne l’exploitation cosmologique des données du LSST.

Photo (avril 2022) de l’observatoire Vera. C. Rubin, en construction au Cerro Pachón, au Chili, à 2,682 m d’altitude (crédit: Rubin Obs/NSF/AURA).

 

I.1 Chargeur de filtre et bancs de calibration de la caméra pour le projet Rubin

Avec plus de trois milliards de pixels, la caméra placée au foyer du télescope de l'observatoire Vera C. Rubin est la plus grande caméra CCD jamais construite. En plus des CCD du plan focal, la caméra intégrée possède trois lentilles permettant la focalisation de la lumière et un système mécanique complexe (l'auto-changeur) permettant de changer le filtre optique placé devant la caméra sans intervention humaine.

L'IN2P3 a eu la charge de fournir le système de changeur de filtres. Les services du LPSC ont contribué à cet effort, en développant le dispositif permettant de transférer les filtres depuis leur boîte de stockage vers l'auto-changeur (opération répétée régulièrement en fonction de la cadence d'observation). Cet équipement à été livré à SLAC, aux État-Unis, en 2021. Pour leurs contributions, E. Lagorio (service électronique) et F. Vezzu (service mécanique) ont été récipiendaires du Cristal collectif du CNRS 2021.

L'équipe DARK a aussi la responsabilité du développement de deux projecteurs (dédiés à la caractérisation de la caméra) ainsi que leurs codes d’analyse (pour leur exploitation scientifique). Le CCOB (camera calibration optical benches) dit faisceau large (4 cm) à la mesure de la réponse relative de l'ensemble des CCD du plan focal dans chacune des bandes optiques, avec une précision de l'ordre de 1‰. Le CCOB dit faisceau fin (2 mm), quant à lui, de mesurer l'alignement du système optique de la caméra (lentilles et filtre), ainsi que la transmission totale de l'optique dans chacune des longueurs d'ondes de l'instrument.

Photographie du banc d’étalonnage optique faisceau fin de la caméra du Rubin LSST. Le banc est composé d’une table de translations de 3 m par 3 m, d’un berceau et d’un pivot au bout duquel est disposé l’élément optique d’émission du faisceau de lumière. Le dispositif permet d’envoyer la lumière en tout point de la caméra sur une vaste gamme d’angles d’incidence.

 

I.2 Cosmologie avec les amas de galaxies du LSST

Les amas de galaxies représentent l'ultime étape de formation des structures de l’Univers. La distribution des amas en fonction de la masse et du redshift est donc sensible à la fois au contenu en matière et énergie noires et à leurs propriétés. Utiliser le comptage d'amas comme sonde cosmologique requiert donc d'en connaître leur masse. Celle-ci n'est pas une quantité observable et, dans le domaine visible couvert par Rubin, l'effet de lentille gravitationnelle faible est la méthode de choix pour la reconstruire. Cet effet consiste en une déformation de l’espace-temps due au potentiel gravitationnel de l'amas (donc de sa masse) et se traduit par une déformation de l’image des galaxies d'arrière-plan (le cisaillement) et une augmentation de leur brillance (magnification).

L'équipe DARK travaille à la préparation de l'analyse amas de galaxies au sein de DESC. C. Combet a pris la responsabilité du développement du code CLMM (Cluster Lensing Mass Modeling) permettant la reconstruction de la masse grâce au cisaillement, coordonnant le travail d'une quinzaine de membres internationaux de la collaboration (Aguena et al., 2021).

Les données du DESC Data Challenge 2 (DC2) constituent la référence pour la préparation des analyses. C. Payerne (en thèse dirigée par C. Combet) a mené le projet visant l'exploitation du cisaillement gravitationnel dans le cadre des amas de galaxies de DC2 et l'étude de ses systématiques. Ce travail a donné lieu à une section dédiée de l'article de validation des données DC2 (Kovacs et al., 2022) et à deux notes internes référées (Payerne et al. 2021a,b). Toujours au sein de DESC, l'équipe est également fortement impliquée dans le développement du pipeline amas permettant l'estimation des paramètres cosmologiques grâce au comptage d'amas (et dont la reconstruction de la masse n'est qu'une étape).

La magnification est une approche complémentaire pour contraindre la masse des amas. Dans son approche standard, cette analyse est plus bruitée que celle utilisant le cisaillement. En utilisant les données publiques HSC (précurseur de Rubin), C. Murray (postdoc de 2020 à 2022 dans l'équipe, via le LabEx ENIGMASS) a travaillé au développement d'une approche novatrice permettant d'utiliser toute l'information spectrale disponible dans l'analyse, gagnant ainsi en précision sur les masses reconstruites.

Masse des amas de galaxies de DC2 reconstruits par effet de lentille faible en fonction de la vraie masse. Figure de C. Payerne publiée dans Kovacs et al. (2022).

 

 

I.3 Cisaillement gravitationnel avec LSST : des images à l’analyse statistique

Avec l’arrivée récente dans l’équipe de deux nouveaux membres (M. Kuna en avril 2021 et C. Doux en janvier 2022), l’équipe peut s’intéresser à un ensemble de thématiques plus large, et en particulier à l’étude du cisaillement gravitationnel comme sonde cosmologique. Une problématique importante et commune à l’étude des amas est celle du blending des galaxies, c’est-à-dire la superposition des galaxies sur la ligne de visée, du fait de la profondeur inégalée du relevé LSST. S’il n’est pas corrigé, cet effet pourrait impacter toute la chaîne d’analyse jusqu’à la reconstruction des paramètres cosmologiques. Un groupe de travail sur cette problématique existe au sein de la collaboration DESC, coordonné par C. Doux. A l’autre bout de la chaîne d’analyse, les méthodes d’extraction de l’information cosmologique contenue dans les données de lentillage sont aussi abordées. Il s’agit par exemple d’outils statistiques évolués et de machine learning, deux aspects mis en œuvre par C. Doux (avant qu’il ne rejoigne l’équipe) dans l’analyse des données du Dark Energy Survey (DES), précurseur de Rubin-LSST.

 

I.4 Ciel transitoire et le broker d’alertes FINK de Rubin

Le monitorage profond d’une très large partie du ciel, répété environ tous les 3 jours par l’observatoire Rubin, révélera un grand nombre d’objets transitoires. Ces objets seront identifiés en caractérisant les différences entre deux images d’une même partie du ciel prises à quelques heures ou jours d’intervalle. Chaque différence conduira à une alerte destinée à la communauté astronomique, pour signifier qu’un phénomène transitoire, et potentiellement d’intérêt, est en cours. Le broker d’alertes FINK (Möller et al., 2020), développé au sein de l’IN2P3, a été choisi par la communauté Rubin-LSST comme l'un des 7 brokers officiels qui recevra directement l'ensemble du flux des alertes de l’observatoire.

Parmi les millions d’alertes générées chaque nuit, l’équipe DARK s’intéresse à celles qui pourraient révéler l’existence d'émissions rémanentes en provenance de sursauts gamma orphelins. Les sursauts gamma comptent parmi les événements les plus violents de l’Univers, et se traduisent par des bouffées très intenses de photons γ (quelques secondes à quelques jours, sur des énergies du keV au TeV). Cette émission gamma est essentiellement due à un jet de particules relativistes extrêmement collimaté et n'est visible que lorsque ce jet pointe en direction de l'observateur. Lorsque ce jet est vu à grand angle, les modèles prévoient que l'émission à plus basse énergie (domaines optiques et radios) soit observable sous la forme de phénomènes transitoires lents et de faible luminosité, baptisés sursaut gamma orphelin.

En 2020, avec l’arrivée de J. Bregeon, l’équipe DARK s’est engagée dans cette thématique, avec des développements de modules spécifiques sursauts orphelins pour FINK. Un financement de thèse a été obtenu par un appel d’offre à l’UGA. Identifier ne serait-ce que l'un de ces sursauts orphelins serait déjà une belle découverte. Si plusieurs dizaines peuvent être caractérisés, il sera possible de mieux contraindre les populations de sursauts gamma, la structure du jet, etc. Ces informations seront complémentaires aux observations dans le domaine gamma au sol et dans l'espace, mais aussi aux observations d'ondes gravitationnelles associées avec Ligo/Virgo.
 

I.5 Courants d’étoiles et contraintes sur la matière noire

Si le télescope Rubin est généralement pensé comme un outil pour contraindre la nature de l’énergie noire, il a été démontré que les grands relevés de galaxies fournissent également d’excellents et multiples moyens de contraindre la nature de la matière noire (Dricla-Wagner et al., 2019). En particulier, les modèles actuels de matière noire prédisent une formation hiérarchique de halos jusqu’aux masses sub-galactiques. Mais les halos en dessous du milliard de masses solaires sont difficiles à observer car trop légers pour attirer suffisamment de gaz pour créer des étoiles. Leur interaction gravitationnelle avec les courants d’étoiles est l’un des rares moyens de les détecter.

Vue d'artiste de la Voie Lactée et de ses courants stellaires (points colorés), amas globulaires (symboles 'étoile') et galaxies naines sphéroïdes (petits cubes). © S. Payne-Wardenaar / K. Malhan, MPIA

 

Les courants d’étoiles sont des amas globulaires ou des galaxies naines satellites de la voie lactée qui ont été étirés par effets de marée jusqu’à former des trainées d’étoiles en orbite autour de notre galaxie. En passant à leur proximité, les halos de matière noire, même invisibles, dévient et arrachent gravitationnellement des étoiles. L’analyse des fluctuations de densité des courants stellaires donnent des informations sur les halos de matière noire les ayant perturbés. La détection et la caractérisation de ces courants d’étoiles représentent donc un moyen de tester les prédictions des modèles dominants de manière noire, de type WIMP ou axion, et de les comparer aux modèles alternatifs comme ceux de matière noire chaude, floue ou auto-interagissante.

Le télescope Vera Rubin au Chili et le grand relevé associé le LSST observeront en dix ans une vingtaine de milliards d’étoiles, soit un ordre de grandeur de plus par rapport aux télescopes des générations précédentes. Ils permettront donc de découvrir de nouveaux courants stellaires sous les seuils de détection actuels, et d’augmenter la statistique des étoiles dans les courants déjà connus. Le projet qui consiste à détecter puis à contraindre les modèles de matière noire avec les courants d’étoiles au sein de la collaboration scientifique DESC regroupe des spécialistes de l’analyse des images de grands relevés, de la détection d’objets galactiques et de la simulation des courants d’étoiles. Plusieurs stagiaires de l’Université Grenoble Alpes ont déjà participé au développement de cette analyse au LPSC. La responsabilité de coordination du projet stellar stream dans la collaboration internationale DESC est portée par M. Kuna du LPSC, conjointement avec les conveners du groupe matière noire.

 

II. Rayonnement cosmique galactique et matière noire

 

II.1 Analyse des données de l’expérience AMS-02

L'expérience AMS-02 a pour objectif l'étude du rayonnement cosmique galactique (RCG) de la centaine de MeV au TeV. C'est un spectromètre qui a été installé sur la station spatiale internationale (ISS) en mai 2011.

Le cœur d'AMS-02 est constitué d’un aimant permanent (diamètre de 1,114 m et 83 cm de haut) qui courbe les trajectoires des particules chargées. Huit plans de détecteur de traces au silicium permettent de la reconstruire géométriquement. Des détecteurs à scintillation (temps de vol) encadrent l’aimant et signalent le passage d'une particule (et son sens de parcours). Le cylindre intérieur de l'aimant est aussi tapissé de compteurs à scintillation véto, signalant qu'une particule est détruite par collision sur le détecteur (événement à rejeter). Au-dessus du détecteur à temps de vol supérieur se trouve le détecteur à radiation de transition (TRD) permettant d’ identifier électrons et positons. Enfin, en dessous du temps de vol inférieur se trouve un compteur Cherenkov à imagerie annulaire (détecteur RICH, développé aux laboratoire dans les années 2000), pour l’identification isotopique des noyaux, et un calorimètre électromagnétique qui absorbe et mesure l'énergie des particules chargées. L'instrument complet, avec une forte redondance des mesures, a de très grandes performances et permet de mesurer les flux de particules de Z=1-26, électrons, positrons et anti-protons. Ceci permet à AMS-02 de pouvoir apporter des éléments de réponse à des questions astrophysiques, matière noire, et même possiblement sur l'énigme de l’asymétrie matière-antimatière de l’Univers.

L'expérience AMS a déjà recueilli plus de 200 milliards d'événements (Aguilar et al., 2021). L’équipe du LPSC a été leader de l’analyse de certaines données nucléaires d’AMS-02. Ces dernières ont en effet été choisies pour les publications des flux des éléments de Z=1-5 (p, He, Li, Be et B). Ces dernières années, les efforts se sont tournés vers l’analyse isotopique, s’appuyant en partie sur le sous-détecteur RICH. Des résultats préliminaires pour les flux isotopiques du Li, Be, et B ont été présentés à des grandes conférences internationales par L. Derome (2019 et 2021).

 

II.2 Phénoménologie du rayonnement cosmique

La phénoménologie du RCG s’intéresse à la compréhension des mécanismes de propagation dans la Galaxie. Il s’agit de confronter les modèles aux données, pour en tirer des conclusions sur l’origine des processus astrophysiques sous-jacents, ainsi que la mise au jour des sources ; ces questions ne peuvent être résolues que par une approche à la fois multi-longueur d’ondes (radio, X, γ) et multi-messagers (photons, neutrinos, leptons et noyaux, voire ondes gravitationnelles).

Autour de D. Maurin et en collaboration avec des membres du LAPTh, LAPP et LUPM (dans le cadre du LabEx ENIGMASS et du projet IN2P3 PHENOD), les efforts se sont concentrés sur l’interprétation des mesures de précision d’AMS-02, pour assurer son retour scientifique maximal. De nombreux résultats ont été obtenus, conduisant à une quinzaine de publications dans des journaux de rang A et des proceedings de conférences internationales. Parmi ces résultats, nous pouvons mentionner

  • Une amélioration méthodologique de l’analyse des données de l’expérience AMS-02, nécessaire pour ne pas biaiser la détermination des paramètres de transport dans la Galaxie.

  • L’analyse combinée des données Li/C, Be/C, B/C, N/O, et 3He/4He d’AMS-02 (contraintes sur les paramètre de transport) et aussi du rapport Be/B (contraintes sur la taille du halo galactique), dans le cadre du « Masterarbeit » de N. Weinrich (Weinrich et al., 2020).

Des outils à destination de la communauté ont aussi été rendus public : première version publique du code de propagation USINE; mise à jour de la base de données du rayonnement cosmique (CRDB).

 

II.3 Détection indirecte de matière noire

La matière noire, qui constitue 26% du contenu de l’Univers, reste une énigme majeure de la physique. Dans le halo sombre de notre Galaxie, cette dernière pourrait se désintégrer ou s’annihiler (en particules standards), conduisant à un excès par rapport aux contributions astrophysiques attendues dans le RCG. Cet excès est recherché dans les flux d’antimatière et du rayonnement γ.

Les meilleures contraintes sur les candidats matière noire sont données par l’étude des anti-protons dans le RCG et par la non-observation de photons γ dans les galaxies naines sphéroïdes (objets qui peuplent la voie lactée). Sur ce premier aspect, plusieurs publications (en collaboration avec le LAPTh) ont permis de mettre à jour le calcul du fond astrophysique d’antiprotons, afin de tirer de nouvelles contraintes à partir des données d’AMS-02. Sur le second aspect, C. Combet et D. Maurin ont poursuivi leurs efforts pour fournir à la communauté un code de simulation rapide des signaux matière noire en γ et neutrinos : une troisième version du code public CLUMPY a été fournie à la communauté en 2019. Cette version a permis d’étendre les cibles calculées par le code au domaine extragalactique. En parallèle, une nouvelle caractérisation des signaux issus de l’annihilation de matière dans les halos sombres de la Galaxie a été réalisée (en collaboration avec le LUPM). Cette étude a souligné l’impact fort des forces de marées dans la destruction de ces halos, ce qui affaiblit les contraintes matière noire qui peuvent être tirées de ces objets.

Carte simulée à partir du logiciel CLUMPY (développé au LPSC), du signal d’annihilation issu des sous-structures de matière noire dans notre Galaxie. La distribution des objets les plus brillants permet d’étudier les perspectives de détection de halos dits « sombres » (pas d’étoiles dans ces objets) par les détecteurs gamma comme Fermi-LAT ou le futur CTA. Figure tirée de Hütten et al. (2019).

 

III. Projet Dirac : outil pour l’utilisation des ressources informatiques distribuées

Dirac est un logiciel libre (sous licence GPL V3) de type intergiciel pour gérer des ressources de calcul distribuées (traitement et stockage des données), disponible ici. Il est utilisé par de nombreuses expériences dans lesquelles l’IN2P3 est impliqué, dont CTA, ILC, Belle II, BES et LHCb au CERN. Initié il y a près de 20 ans par l’expérience LHCb, Dirac est constitué depuis 2014 en Consortium qui associe l’ensemble des partenaires contributeurs internationaux. J. Bregeon est responsable technique du projet au niveau de l’IN2P3, et contribue au développement et à la promotion du logiciel auprès des communautés d’utilisateurs.