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 Recherche de nouvelles sources de violation de CP par la mesure du moment dipolaire electrique (EDM) du neutron.

 

 
Enjeux physiques

Comme l’illustre la figure ci-dessous, l’existence d’un moment dipolaire électrique non nul pour le neutron – ainsi que pour toute particule non dégénérée – implique la brisure de deux symétries discrètes : la parité P et le renversement du temps T. En vertu du théorème CPT, cette dernière est équivalente à une violation de la symétrie combinée CP, C étant l’opération conjugaison de charge. Cette simple constatation a des conséquences très profondes connectant cosmologie et physique des particules. En essayant de comprendre l’origine de la disparition de l’antimatière de notre Univers, connue sous le nom de BAU (Baryon Asymmetry of the Universe), Sakharov a en effet démontré que trois conditions sont nécessaires, l’une d’elles étant l’existence de mécanismes brisant la symétrie combinée CP. Il existe dans le modèle standard de la physique des particules (MS) une seule source de brisure de CP (phase δ de la matrice CKM) mais dont l’intensité est beaucoup trop faible pour expliquer la BAU. Par contraste, les extensions du MS prédisent de façon générique l’existence de nouvelles phases donc de nouvelles sources de brisure de CP.

violationP-T

Un neutron possédant un moment dipolaire électrique (supposé parallèle au moment magnétique sur la figure) se transforme sous les 2 symétries de parité P et de renversement du temps T en un neutron jumeau, dont les 2 moments dipolaires se retrouvent inversés par rapport à la situation de départ. L’existence d’un tel état est exclue car il modifierait radicalement les propriétés connues des noyaux atomiques (principe de Pauli). Cette assertion, dans l’hypothèse d’un EDM non nul du neutron, implique la non invariance des lois de la physique sous les symétries P et T.

 

La limite actuelle sur l’EDM du neutron se situe à 3 x 10-26e cm, soit 5 à 6 ordres de grandeur au-dessus de la prédiction du MS. L’observation d’un signal non nul au niveau de 10-28-10-27e cm, objectif des expériences de nouvelle génération, serait donc la signature d’une nouvelle physique et un progrès sans doute décisif dans notre compréhension de l’origine de la disparition de l’antimatière. A contrario, repousser la limite dans le domaine 10-28e cm rendrait le scénario de baryogenèse électrofaible, où la BAU est créée au moment de la transition électrofaible, très improbable.

Principe de la mesure

La mesure de l’EDM du neutron est basée sur l’analyse de la fréquence de précession de neutrons soumis à des champs magnétique et électrique soit parallèles soit antiparallèles. Pour ces deux configurations, la fréquence de précession ν s’exprime comme

hν = 2 μn B ± 2 dn E

μn et dn étant les moments dipolaires magnétique et électrique du neutron et h, la constante de Planck. La différence permet d’accéder directement à la mesure de l’EDM du neutron :

dn = h δν/4 E

Pour mesurer la fréquence de précession des neutrons, on utilise la technique inventée par Norman Ramsey pour la toute première mesure en 1951 (publiée en 1957) dite des champs oscillants alternés et qui est aussi mise en œuvre dans les horloges atomiques. Le principal défi expérimental est de contrôler la stabilité temporelle du champ magnétique (dB/B ~ 10-7 sur 100 s) et d’optimiser son homogénéité sur un grand volume (dB/B ~ 10-5 sur un volume de 20 l). Les expériences actuelles utilisent des neutrons ultra-froids (UCN) dont les longs temps de stockage permettent de maximiser la sensibilité de la mesure.

La source d'UCN de PSI

La source de l’Institut Paul Scherrer en Suisse est une source de spallation basée sur le faisceau deUCNSource proton de 590 MeV, d’une intensité > 2 mA (record mondial) et utilisant le deutérium solide pour générer les neutrons ultra-froids. La figure ci-contre montre les principaux composants de la source. Les neutrons sont produits par spallation en dirigeant la totalité du faisceau de proton (puissance > 1,2 MW) sur une source en plomb avec un cycle utile de 1 % (typiquement 4 s toutes les 400 s) afin de limiter le réchauffement du deutérium. Les neutrons sont ensuite thermalisés dans une piscine de 3,5 m3 d’eau lourde entourant le deutérium puis transformés en neutrons froids dans le cristal de deutérium solide, d’un volume de 30 l et maintenu à une température proche de 5 K. Certains de ces neutrons peuvent alors être convertis en neutrons ultra-froids par interaction avec le cristal (mécanisme de production de phonon) puis être guidés dans le volume de stockage par la cheminée de 1,2 m de haut qui se situe juste au-dessus du volume sD2. Le volume de stockage dispose de deux guides qui permettent de fournir des UCN dans deux zones expérimentales, dont l’une est occupée par l’expérience nEDM et l’autre utilisée pour effectuer des tests.

Le commissioning de la source s’est déroulé en 2010 et 2011. La source fonctionne dorénavant avec une excellente fiabilité mais la densité d’UCN obtenue reste pour l’instant en-deçà des valeurs escomptées.

Pour en savoir plus:http://ucn.web.psi.ch/ucn_source_project.htm

L'expérience au PSI

Notre utilisons à l’heure actuelle le spectromètre développé dans les années 90 par la collaboration RAL-Sussex-ILL et qui détient la meilleure limite actuelle sur l’EDM du neutron, publiée en 2006. Ce dispositif, déménagé en 2009 de l’ILL au PSI, fonctionne à température ambiante.nEDMExperiment

La figure ci-contre montre la chambre de précession, d’un volume de 20 l, installée au centre de la chambre à vide. Celle-ci est constituée d’un cylindre creux en polystyrène (PS) et de deux électrodes en forme de disque. L’électrode du haut est reliée à un générateur de haute tension (HV ≈ 140 kV) afin de produire un champ électrique vertical, parallèle ou antiparallèle au champ magnétique.

La mesure du champ magnétique est assurée par des magnétomètres atomiques, basés respectivement sur le 199Hg et le 133Cs. Le 199Hg fonctionne en mode co-magnétomètre : durant la précession des UCN, une vapeur d’atomes 199Hg polarisés par pompage optique est injectée dans la chambre de stockage et permet de mesurer la même moyenne spatio-temporelle du champ magnétique que celle vue par les UCN. Notre collaboration a complété ce dispositif par un ensemble de magnétomètres Cs externes, développés par le groupe de Fribourg, et installés de part et d’autre de la chambre de précession. Ils permettent une mesure directe du gradient de champ magnétique vertical, à l’ origine d’une des principales erreurs systématiques.

Avec ce dispositif et en se basant sur les performances actuelles de la source UCN, nous prévoyons d'approcher une limite de 10-26e cm à l'horizon 2016.

Pour en savoir plus: http://nedm.web.psi.ch/index.htm

Le projet n2EDM

Notre collaboration travaille depuis plusieurs années à la conception d’un nouveau spectromètre, le projet n2EDM. Cet appareil reprendra le même principe de fonctionnement que l’installation actuelle, à savoir un détecteur à température ambiante et combinant un co-magnétomètre Hg à des magnétomètres externes (Cs et en plus 3He), et sera optimisé pour la source d’UCN de PSI.chambre n2EDM Une des améliorations principales consistera à utiliser une double chambre de précession dont un schéma préliminaire est représenté sur la figure ci-contre. Elle permet de mesurer simultanément les deux configurations parallèle/antiparallèle des champs magnétique et électrique et de diminuer ainsi considérablement les erreurs systématiques liées au champ magnétique. L’essentiel de nos efforts s’est pour l’instant concentré sur le blindage magnétique dont les performances conditionnent directement la limite accessible et qui représente la partie de l’équipement de loin la plus onéreuse. La livraison de ce blindage au PSI est attendue pour fin 2014 et la disponibilité du nouveau spectromètre est envisagée pour 2016-2017.

En considérant que la densité d’UCN restera au niveau actuel, une limite proche de 10-27e cm devrait être atteinte après 5 années de prises de données, soit aux alentours de 2020.