1. Introduction
L’équipe de recherche Auger du LPSC fait partie de la collaboration internationale Pierre Auger qui a conçu, construit et exploite l'Observatoire éponyme, ensemble instrumental performant déployé sur 3000 km2 dans la pampa argentine, détectant les rayons cosmiques sur plus de trois décades en énergie. Plus de 400 scientifiques de 16 pays différents collaborent pour déterminer l’origine et la nature de ces particules les plus énergétiques de l’Univers et comprendre comment elles atteignent des énergies aussi extrêmes, un million de fois supérieure à celle des protons accélérés au LHC. Quand ces rayons cosmiques entrent en collision avec les molécules de la haute atmosphère, ils créent une cascade de plus de 10 milliards de particules secondaires, appelée gerbe atmosphérique, qui peut s'étendre sur plus de 40 kilomètres carrés quand elle arrive au sol. C’est en observant ce phénomène au sol et lors de son développement dans l’atmosphère qu’on parvient à étudier la nature et l’origine de ces rayons cosmiques. Mais leur flux est de l’ordre de 1 par kilomètre carré et par an et cette extrême rareté impose à l’Observatoire son immense surface de détection.
L’Observatoire utilise conjointement les deux techniques de détection des gerbes atmosphériques qui ont déjà fait leurs preuves, alliant un détecteur de surface (SD) constitué de 1660 cuves à effet Cherenkov (WCD) échantillonnant les particules des gerbes arrivant au sol, et d’un détecteur de fluorescence (FD) comprenant 27 télescopes mesurant le développement longitudinal des gerbes. La vaste surface de collection et la stratégie de détection hybride de l'Observatoire ont permis des avancées considérables de nos connaissances des rayons cosmiques d’ultra haute énergie (RCUHE). Citons parmi les résultats les plus récents la preuve que les plus énergétiques viennent d’au-delà de notre galaxie, et l’indication d’anisotropies dans leurs directions d’arrivée. Pour améliorer les performances de l’Observatoire, la collaboration travaille sur le projet AugerPrime, dont un des volets les plus importants est la mise en œuvre de nouveaux détecteurs à scintillation.
Pendant les 3 dernières années, l’équipe a essentiellement poursuivi ses activités sur le contrôle en ligne du SD et a achevé l’activité de R&D sur la radio détection des gerbes dans les longueurs d’onde centimétriques ; elle s’est engagée dans la recherche de photons d’ultra haute énergie, et s’est investie davantage dans AugerPrime, puisqu’en complément des développements concernant la nouvelle électronique embarquée, dans laquelle elle a joué un rôle essentiel, l’équipe a pris en charge l’intégration de détecteurs à scintillation. Il est à noter aussi que chaque membre de l’équipe s’implique dans plusieurs activités de communication auprès des collégiens et lycéens, autour de la thématique du rayonnement cosmique et de l’Observatoire Pierre Auger.
2. Fonctionnement de l'Observatoire Pierre Auger
Contrôle du réseau
L’équipe Auger a pris part, quasiment dès son entrée dans la collaboration Auger, au contrôle en ligne du SD. Le fonctionnement du réseau de détection peut être suivi via une interface web, permettant d’afficher les principaux paramètres des WCD (état du système d’alimentation solaire, paramètres des photomultiplicateurs, taux de déclenchement). Cette activité se poursuit, avec d’une part le suivi du fonctionnement du réseau et d’autre part le développement de nouvelles fonctionnalités. Les plus récents développements concernent plus directement la qualité des données acquises, le suivi des performances sur le long terme, et des contributions essentielles à la mise en place de périodes de « shifts » pour une surveillance partagée et permanente du SD.
Salle de contrôle à distance
Le fonctionnement des télescopes de fluorescence opérant les nuits sans lune et claires, doit être surveillé constamment, et nécessite donc la présence de « shifteurs » à l’Observatoire, chaque mois, pendant environ une vingtaine de nuits d’affilée. Depuis 2014, un système de remote shifts s’est mis en place dans la collaboration : à partir de salles de contrôle reproduisant celle existant à l’Observatoire, il est possible de contrôler et piloter à distance les détecteurs de fluorescence et les Lidars qui mesurent la transparence de l’atmosphère au-dessus de l’Observatoire. L’avantage majeur de la mise en œuvre de « shifts » à distance est de supprimer les coûts liés aux missions. De plus, le décalage horaire permet de limiter la part de travail nocturne des « shifteurs » sur le site de l’Observatoire. Le groupe Auger a installé au LPSC une telle salle qui est opérationnelle depuis le printemps 2017. L’équipe prend en charge chaque année des shifts à distance.
Contrôle commande à distance
AERA est un instrument dédié à l’étude de l’émission des ondes radio, dans la gamme des 30-80 MHz, par les gerbes atmosphériques induites par les rayons cosmiques. Le réseau constitué de 152 antennes occupe une surface de 17 km². Au LPSC nous avions développé une interface graphique de contrôle commande accessible depuis une interface Web. Cette interface a nécessité quelques actions de mise à jour et de maintenance, menées par un informaticien du LPSC.
3. Analyse de données
Détection radio des gerbes atmosphériques
L'équipe a poursuivi ses travaux de R&D de détection radio des gerbes atmosphériques à des fréquences de quelques GHz, dans le cadre du projet GIGAS financé par l’ANR. L’objectif était d’utiliser l’émission induite par le bremsstrahlung moléculaire (MBR) lors du passage de la gerbe dans l’atmosphère comme nouvelle observable pour une meilleure identification de la composante électromagnétique de la gerbe. Les détecteurs GIGAS étaient intégrés dans un sous-réseau du SD. Trois réseaux de capteurs ont été développés et installés, GIGAS-61 (~90 km2) utilisant comme capteurs des antennes cornet commerciales, puis GIGADuck-L (~7 km2) et GIGADuck-C (~7 km2) chacun avec 7 capteurs constitués d’antennes plus sensibles et d’une électronique à plus bas bruit. Nous avons démontré le bon fonctionnement des détecteurs installés par un étalonnage soigneux des paramètres utiles pour décrire leurs sensibilités, à savoir la surface effective, la température du système et la bande passante. La performance de ces détecteurs a été examinée en fonction de la simulation réaliste du processus MBR développée dans le cadre du projet. L'association avec la simulation complète du détecteur nous a permis de vérifier l'augmentation de la sensibilité obtenue avec les détecteurs GIGADuck. Une description complète du dispositif expérimental, de sa calibration, des modélisations informatiques associées et de nos méthodes d’analyse a été publiée. Le rayonnement MBR des grandes gerbes atmosphériques s’avère bien plus faible que ce que les publications faites avant 2012 avançaient. Malgré la grande sensibilité de nos capteurs aucun signal n’a pu être attribué de manière non ambiguë à ce mécanisme.
Recherche des photons d'ultra haute énergie
Les modèles astrophysiques de production des RCUHE prévoient des flux de neutrinos et de photons associés aux interactions des particules primaires dans les sources elles-mêmes ou lors de leur propagation. Si une composante, possiblement minoritaire, de protons existe au-delà de 50 EeV et qu’ils interagissent avec les photons du CMB ou de l’EBL, des pions chargés ou neutres sont produits : p + γbg→ p + 0, n + +. La désintégration des pions chargés produit des neutrinos et celle des neutres des photons d’énergie autour de quelques EeV. Les neutrinos et les photons produits ainsi sont dits « cosmogéniques ». Leur flux dépend alors de la masse des RCUHE, car fortement supprimé dans le cas de noyaux lourds. La recherche de photons cosmogéniques dans le flux des RCUHE est utile pour mieux comprendre l’origine de la coupure spectrale à haute énergie. La preuve de la présence de tels photons signerait d’une part la présence de protons dans le flux aux énergies extrêmes et d’autre part l’effet GZK, apportant ainsi des informations cruciales pour interpréter les observations. Cela ouvrirait également la porte à une astronomie avec les photons UHE, car n’étant pas déviés par les champs magnétiques galactiques et extragalactiques il serait possible de pointer vers leurs sources.
Depuis 2016 nous avons débuté une activité d’analyse pour identifier des photons UHE. Les gerbes qu’ils produisent ont une composante muonique faible, et un développement plus tardif dans l’atmosphère comparé à celui de gerbes hadroniques de même énergie. La position du maximum de développement, mesuré par le FD, est donc une variable discriminante, utilisé dans l’analyse des événements hybrides mais elle est limitée par le relativement faible cycle utile du FD. Si on veut bénéficier de l’ensemble des données enregistrées par le SD, il faut sélectionner les observables permettant de distinguer les gerbes de photons de celles de hadrons. Après un travail concernant l’évaluation du bruit de fond irréductible dû aux gerbes hadroniques avec un 0 dominant l’énergie de la 1ère interaction, une analyse basée sur une observable discriminante élaborée à partir de la forme des signaux enregistrés par les WCD a été développée dans le cadre d’un travail postdoctoral.
Distribution des évènements protons (rouge) et photons (bleu) simulés, dans l'espace des observables
Le cœur de la méthode est de modéliser les formes des signaux produits dans les cuves par des gerbes, cette modélisation devant conduire à des résultats distinctifs entre les gerbes de photons et les gerbes de hadrons. L’objectif est d’appliquer le modèle élaboré aux signaux réels, et d’évaluer si le résultat est similaire au modèle attendu pour les photons. Testée sur les simulations Monte-Carlo, la méthode permet une réjection du fond hadronique de 97% avec une efficacité d’identification des photons de 50%. Une autre approche pour identifier les gerbes de photons qui est développée consiste à combiner des observables discriminantes dans une analyse multivariée. Ces observables sont construites en estimant la part de signal liée au passage de muons, et celle venant de la composante électromagnétique. Chaque observable présente des performances différentes et complémentaires dans l’espace des paramètres de la gerbe considérée. Ces variables sont ensuite utilisées dans une analyse multivariée conçue pour être évolutive. Cette étude constitue le cœur d’un travail de thèse actuellement menée au sein de l’équipe.
4. Le projet AugerPrime
Le projet AugerPrime est destiné à améliorer les performances de l'Observatoire Pierre Auger. Son principal objectif est d’obtenir une meilleure identification de la nature des rayons cosmiques primaires, afin de progresser dans l'interprétation des résultats et de répondre aux questions encore ouvertes sur l'origine et la composition des rayons cosmiques aux plus hautes énergies. L’élément clé est une caractérisation de la composition de la gerbe atmosphérique, qui sera sensiblement améliorée par l’ajout de scintillateurs (SSD) sur chaque WCD. En effet, ces détecteurs ont une réponse aux muons et aux électrons/positrons/photons différentes de celles des détecteurs Cherenkov. Pour traiter à la fois les signaux des WCD et ceux des SSD, une nouvelle électronique d'acquisition et de contrôle aux performances accrues est développée.
Grâce à la forte implication des services Électronique et Détecteurs et Instrumentation, l’équipe Auger du LPSC contribue de façon essentielle depuis plusieurs années au projet d’amélioration et de rénovation de l’électronique du SD, et s’implique également dans l’organisation et la mise en œuvre d’AugerPrime. La carte électronique unique du système a été conçue et intégrée au LPSC. Après les tests du premier prototype, deux nouvelles versions ont pu être produites et testées, pour satisfaire les spécifications en termes de bruit et de consommation. La collaboration prévoit le déploiement d'environ 1400 SSD, ceux-ci étant assemblés dans 6 instituts européens. Le LPSC est l'un d'entre eux, et a pris en charge l’assemblage et les tests de 90 SSD.
SSD : mise en place des fibres
Chaque détecteur à scintillation est constitué de deux modules de scintillateur comprenant chacun 24 barres de plastique extrudé de 1,60 m de long et de 5 cm x 1 cm de section. La collection de lumière se fait par fibres optiques à décalage de longueur d'onde. Chaque barre est percée dans sa longueur de 2 trous dans lesquels doivent être insérées les fibres. Les extrémités de l’ensemble des fibres sont couplées optiquement à un unique photo-multiplicateur. L'ensemble est assemblé dans une boite en aluminium (1,3m x 3,8 m). Après l'assemblage, les tests ont pour but de vérifier l'étanchéité à la lumière visible du détecteur et l'efficacité de collection de lumière en utilisant des muons du rayonnement cosmique. Après une phase d’approvisionnement et de stockage du matériel, nous avons mis en place les procédures d’assemblage et de tests début 2018, et assemblé 45 modules entre juin et décembre 2018. Les 45 modules suivants seront assemblés au 1er semestre 2019. Les résultats des tests des modules déjà assemblés sont satisfaisants et démontrent que la procédure d'assemblage est maîtrisée.
SSD : résultats des tests