Analyse comparative du niveau de haute conversion en cycle thorium réalisable dans des réacteurs CANDU et REP peu modifiés

Le niveau de conversion des réacteurs CANDU et REP en cycle thorium a été étudié dans l'optique d'une utilisation en troisième et dernière strate de scénarios symbiotiques. Le plutonium du combustible REP usé serait par exemple utilisé en CANDU Th/Pu pour produire de l'233U, qui alimenterait ces réacteurs à eau et haute conversion. En cas d'augmentation importante de la production d'énergie à partir d'uranium, cette alternative basée sur des réacteurs existants pourrait suppléer une IVe génération trop tardive. Pour évaluer la compétitivité de tels scénarios, des calculs de cycles détaillés ont été e ectués selon une méthodologie de simulation de coeur développée pour le CANDU-6 et adaptée au REP de type N4.

Le CANDU Th/233U enrichi à 1.30 wt% est régénérateur, avec un burnup court de 7 GWj/t. Augmenter légèrement l'enrichissement allonge considérablement le cycle, au prix d'une sous-génération. Multirecycler conduit également à une perte de conversion, qui peut néanmoins être compensée par un chargement fissile hétérogène. La conversion à puissance standard est moins bonne en REP Th/233U qu'en CANDU (inventaire fi ssile réduit de moitié après 50 GWj/t) mais peut être améliorée par sous-modération.

L'analyse neutronique montre que l'essentiel du gap de conversion entre CANDU et REP vient des conditions opératoires économes en neutrons du CANDU. Des scénarios ont été comparés du point de vue de l'économie d'uranium et de l'aval du cycle dans les deux cas, et ont con rmé l'intérêt du CANDU. Deux pistes de recherche ont été identi ées et sont actuellement suivies : l'évaluation de la sûreté des CANDUs au thorium par cinétique avec contre-réactions thermiques, et l'étude de coeurs fortement sous-modérés en cuve standard de REP.

Les gains en conversion de systèmes légèrement évolués (c'est-à-dire dont le rapport de modération a été modifié) semblent assez limités par rapport aux réacteurs de génération II dits "classiques". Un travail exploratoire sur ces systèmes a permis de déterminer les taux de conversion potentiellement accessibles avec différents types de combustible. Pour améliorer ces gains en conversion, il semble indispensable de complexifier un peu plus les changements apportés aux réacteurs à eau. Deux types de modifications ont été retenues: la variation de spectre au sein des réacteurs (en particulier le REP) et l'hétérogénéité du coeur. Le principe d'un réacteur à variation de spectre est de compenser la perte de réactivité engendrée par le burnup du combustible en retirant du coeur, au cours de l'évolution, des barres fertiles et ceci afin d'adoucir le spectre. Ce principe est celui qui a été utilisé dans le LWBR de Shippingport (en couverture) et dans l'étude théorique du RCVS (Réacteur Convertible à Variation de Spectre) de Framatome (mouvement de grappes de barres fertiles au sein des assemblages). Le but est d'améliorer l'utilisation du combustible pour s'approcher de la régénération voire y parvenir. Pour simuler ce maintien de la réactivité, il est nécessaire de corréler le mouvement des barres fertiles (ou barres d'absorbants) au kinf mesuré pour un assemblage. Cette étude nécessite des calculs d'assemblages en 3D très détaillés.

Optimisation des réacteurs à eau (HCWR) et développement de nouveaux outils académiques d’évaluation de la sûreté (MURE)

Cet axe double de recherche est la suite logique d’un travail de longue haleine débuté en 2005 avec le projet SIRIUS (Simulation Initiative for Reactors Improving Uranium savings and Safety margins) initialement finançé par le GDR GEDEPEON. L’idée est d’explorer l’important potentiel des réacteurs à eau en termes de haute conversion (i.e. de rendement amélioré du combustible) et de sûreté. Depuis les années 50, de nombreuses pistes ont été envisagées dans cette niche des HCWR (High Conversion Water Reactors) mais jamais concrétisées du fait de la compétitivité des filières actuelles. Toutefois, dans l’hypothèse d’une contribution significative du nucléaire au mix énergétique mondial et d’un retard prolongé des réacteurs de quatrième génération, la recherche de telles améliorations se justifie dès à présent et tout particulièrement pour les REP (Réacteurs à Eau légère sous Pression).

Ce type d’études réclame des réévaluations physiques complètes des concepts et donc d’autres outils de calcul que les codes dits industriels, destinés à la prédiction fine de systèmes existants ou finalisés. Des méthodes originales et adaptées sont ainsi développées depuis plus d’une dizaine d’années dans le cadre de l’environnement collaboratif C++ MURE (MCNP Utility for Reactor Evolution, disponible à la NEA depuis 2009) pour les calculs d’évolution du combustible, le couplage entre neutronique et thermohydraulique à l’équilibre (2010) et plus récemment les études de sensibilité aux données nucléaires (en parallèle de méthodes déterministes, en collaboration avec nos partenaires de l’école polytechnique de Montréal) ainsi que la mise au point du calcul de transitoires accidentels.

Des vérifications poussées de l’inadaptation à ces études HCWR de calculs industriels trop détaillés (notamment d’un cœur complet de REP en transport Monte Carlo à l’échelle millimétrique) ont conduit au développement dans MURE d’une méthode de cinétique spatiale simplifiée (Nodal Drift Method), basée sur la théorie de la diffusion et conçue comme le point de départ le plus simple possible vers le couplage indispensable avec la thermohydraulique transitoire. En accord avec la toute nouvelle tendance mondiale, les paramètres de diffusion sont calculés au préalable par le code Monte Carlo de référence MCNP. Validée sur un cas test de LOCA (Loss Of Coolant Accident) en CANDU (réacteur à eau lourde), cette méthode a ensuite été appliquée à une étude de sûreté comparative entre l’actuel cycle uranium et le cycle thorium quasi-régénérateur dans ce type de réacteur.

Dans le cadre du projet NEEDS et en collaboration avec le CEA, l'IRSN et l'IPNO, nous participons également depuis fin 2013 au programme M2C2 (Multiphysics and Monte Carlo Convergence issues in neutronic calculations) destiné à faire des recommandations sur le Monte Carlo évoluant. Une étude d'impact tant sur la méthodologie (représentativité d'un assemblage versus cœur complet) que sur la sensibilité des données du cycle a été proposée. En parallèle de ces études sur l’utilisation du Monte Carlo, l’ajout du couplage complet avec la thermohydraulique et la validation sur un cas test de REA (Rod Ejection Accident) rendront possibles les calculs de transitoires en REP. Tout en améliorant nos modèles thermohydrauliques (avec transport de la chaleur par diffusion et convection couplées), nous procéderons à l’évaluation de la sûreté des options de HCWR retenues pour leur niveau élevé de conversion (cœurs sous-modérés i.e. dans lesquels l’eau joue plus le rôle de caloporteur que de modérateur, crayons annulaires, …) en cycle uranium et en cycle thorium. Du fait de modes exotiques de gestion de la réactivité (par l’utilisation d’une géométrie variable de cœur entre autres), l’étude complète des options dont la sûreté est satisfaisante devra exploiter au maximum la flexibilité de MURE et ses méthodes de simulation académiques dédiées à la physique des réacteurs.