1. Introduction : le concept de Molten Salt Fast Reactor MSFR

Depuis plus de 15 ans, l’équipe MSFR du LPSC étudie un concept innovant de réacteur nucléaire nommé réacteur à sels fondus (ou MSR pour Molten Salt Reactor en anglais), axé sur la sûreté intrinsèque et la réduction des déchets radioactifs. Ce réacteur est basé sur un combustible liquide circulant entre le cœur et les échangeurs de chaleur, ce liquide remplissant à la fois le rôle de combustible et de caloporteur. Les études pilotées par le LPSC et menées jusqu’à présent au niveau local, national et international (projet européen SAMOFAR en cours, Forum International Génération 4, AIEA), ont majoritairement porté sur un réacteur de puissance élevée (3 GWth) fonctionnant en cycle du combustible Thorium, visant à définir les configurations d’un tel réacteur d’intérêt. Les réacteurs à sels fondus (RSF) sont un des six candidats retenus par le forum international Génération IV en tant que concepts prometteurs pour les réacteurs nucléaires du futur.

2. Proposition d'un design intégré du MSFR

Dans le cadre du projet SAMOFAR l'équipe a proposé un design intégré du MSFR qui a pour but principal d’éliminer le risque de fuite du sel combustible. Ce design a fait l’objet du livrable 1.1 de SAMOFAR et sert de référence pour toutes les études de sûreté réalisées dans ce projet.

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Design intégré du MSFR.
À gauche un secteur de refroidissement et à droite la disposition générale des secteurs dans la cuve réacteur. Les blocs roses autour de la cuve réacteur sont des réservoirs de stockage du sel.

La figure ci-dessus représente l’idée générale de ce design intégré. Le sel combustible est entièrement contenu à l’intérieur d’une cuve dans laquelle des secteurs de refroidissement sont insérés. Ces secteurs de refroidissement comprennent la couverture fertile, une pompe pour forcer la circulation du combustible, un échangeur de chaleur refroidi par le sel intermédiaire et une protection neutronique entre la couverture fertile et l’échangeur. Les secteurs de refroidissement sont disposés à la périphérie de la cuve de manière à ne laisser dans le centre de la cuve que du sel combustible correspondant au cœur du réacteur où ont lieu les fissions.

Simulateurs pour des études de design et de pilotage

Deux types de simulateurs du MSFR sont en cours de développement dans l’équipe. L’un est statique et a pour but de rechercher les configurations les plus optimales du design en fonction de critères préétablis. L’autre, dit dynamique, a pour but de permettre une simulation en temps réel et des études de pilotage du réacteur en situation normale et incidentelle.

Code système statique

Le code statique permet de déclarer des paramètres décrivant le réacteur et les méthodes de calcul associées. Les paramètres dont le calcul n’est pas possible directement sont dits libres et doivent être fixés arbitrairement. Par ailleurs des contraintes sont déclarées indiquant des valeurs cibles pour certains paramètres et une tolérance autour de ces valeurs cibles. Un algorithme génétique recherche enfin le jeu de valeurs des paramètres libres réalisant au mieux les contraintes fixées.

Ce code peut être utilisé, par exemple, pour configurer les échangeurs de chaleur en intégrant la géométrie complète du réacteur et en recherchant le meilleur mode de fonctionnement possible. Les contraintes, dans ce cas, sont des vitesses limites de circulation des fluides, des températures critiques à ne pas dépasser et des pertes de charge maximum.

Code système dynamique

Ce code système dynamique, correspondant à un simulateur de fonctionnement du réacteur, est en cours de développement. Le circuit combustible y est modélisé par le code LiCore développé par A. Laureau durant sa thèse, code basé sur un modèle de cinétique point amélioré afin de prendre en compte la circulation du combustible hors cœur. Un premier modèle simplifié des circuits intermédiaire et de conversion de l’énergie sont implémentés dans le code LiCore, qui permet de calculer le comportement du réacteur en temps réel. Des collaborations sont en cours pour compléter et améliorer cette modélisation des circuits intermédiaire et de conversion, d’une part avec l’entreprise CORYS, leader européen du développement de simulateurs de centrales nucléaires, d’autre part avec Politecnico di Milano dans le cadre du projet européen SAMOFAR.

Approche de sûreté et analyse de risques

Comme tout réacteur nucléaire de quatrième génération, le MSFR doit répondre à différentes contraintes dont une sûreté optimale. La sûreté du MSFR est étudiée dès les premiers stades de conception du réacteur afin d’être intégrée au design lors de sa définition plutôt qu’ajoutée a posteriori. En raison de ses spécificités, en particulier l’état liquide du combustible, et du stade préliminaire de son design, l’analyse de sûreté du MSFR a nécessité la mise au point de méthodologies d’analyse de sûreté adaptées et technologiquement neutres, travail piloté par l’IRSN et réalisé au sein du projet européen SAMOFAR et dans la thèse de D. Gérardin effectuée au LPSC et soutenue fin 2018.

Une première application de cette méthodologie a été également réalisée, afin d’identifier les évènements initiateurs d’accident, qui sont les points de départ des séquences accidentelles. Pour cela, les méthodes d’analyses de risques du Master Logic Diagram (MLD) et d’analyse fonctionnelle ont été utilisées, en collaboration avec Framatome et Politecnico di Torino. Les familles d’événements initiateurs identifiées pour le MSFR sont les suivantes :

  • Insertion de réactivité
  • Augmentation de l’extraction de chaleur/Sur-refroidissement
  • Perte de débit combustible
  • Diminution de l’extraction de chaleur
  • Perte d’étanchéité du circuit combustible
  • Perte du contrôle de la composition/chimie du sel combustible
  • Surchauffe des structures du circuit combustible
  • Perte du refroidissement des autres systèmes contenant des matières radioactives
  • Perte du confinement des matières radioactives dans d’autres systèmes
  • Dégradation mécanique du circuit combustible
  • Perte du contrôle de la pression dans le circuit combustible
  • Fuite du circuit de conversion
  • Perte de l’alimentation électrique.

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Proposition de barrières de confinement de la radioactivité pour le réacteur MSFR

Puis, une évaluation préliminaire de la fréquence d’occurrence et des conséquences de ces évènements a été menée afin de sélectionner une liste resserrée d’évènements les plus pertinents qui devra être étudiée dans la suite de l’analyse de sûreté. Cette évaluation de la gravité des événements initiateurs vise à définir si des dispositions de prévention doivent être implémentées pour proposer des dispositifs de mitigation adaptés.

Enfin, une première ébauche de l’architecture de sûreté du réacteur a été proposée. Elle est obtenue en appliquant la notion de défense en profondeur au MSFR. Celle-ci prévoit l’implémentation d’une série de mesures incluant des barrières de confinement physiques et robustes et des systèmes de sûreté divers et redondants. Dans cette optique, plusieurs propositions sont faites pour définir les barrières de confinement du MSFR (voir Figure 2). Ensuite, la méthode des Lignes De Défense (LDD) est employée pour définir des dispositions de sûreté adaptées aux différentes familles d’évènements initiateurs et vérifier la concordance de l’architecture de sûreté proposée avec le concept de défense en profondeur. Un des résultats de l’analyse de risque réalisée est effectué actuellement et a pour objectif d’améliorer le design du réacteur proposé en début d’analyse de risque. Des propositions d’améliorations sont en cours d’identification : l’ajout de composants est proposé, des designs alternatifs sont présentés et les manques de connaissances sur certains phénomènes ou procédures sont soulignés afin de guider les études futures.

3. Réacteurs à sels fondus et Small Modular Reactor

L’augmentation de la part des énergies renouvelables dans la production électrique, en particulier dans les pays de l’OCDE, et le manque actuel de perspective pour un stockage économique de l’énergie, nécessitent le maintien de sources de production de base ayant une grande flexibilité de production. Le nucléaire étant la principale source de production de base non carbonée, les réacteurs de quatrième génération devront être capables de modifier rapidement leur puissance afin de venir compléter la production des sources intermittentes telles que l’éolien et le photovoltaïque. Ceci crée de nouvelles problématiques et ainsi de nouvelles thématiques de recherche. Il est ainsi nécessaire d’imaginer et de développer des systèmes nucléaires innovants permettant de contribuer à ce nouveau mix énergétique tout en étant acceptables du point de vue de la sûreté, des déchets et du coût. Pour cela des concepts de réacteurs modulaires de faible puissance (les Small Modular Reactors - SMRs) sont envisagés. Dans ce contexte, Framatome a identifié le concept de MSFR comme très prometteur et a souhaité s'impliquer avec le CNRS au travers de la thèse de J. Martinet cofinancée Framatome/Initiatives de Recherche Stratégiques (IRS) de l’IDEX de l’Université Grenoble Alpes. Ces travaux de thèse portent sur des études visant à définir un réacteur MSFR de plus faible puissance (quelques centaines MWél) et utilisant le cycle du combustible U/Pu plus rapidement accessible, concept dit S-MSFR pour Small-MSFR.