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Plateforme FEST
5 février 2024
Les études de systèmes complexes impliquant des réactions nucléaires dans un milieu fluide ou solide avec des transferts d’énergie et de masse, des changements de phases et des réactions chimiques, s’appuient sur deux volets :
- des développements numériques seuls capables de prendre en compte la totalité des phénomènes physiques
- des développements expérimentaux conçus pour valider certains aspects des modèles numériques (modèles de turbulences, effets radiatifs…)
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Les études de systèmes complexes impliquant des réactions nucléaires dans un milieu fluide ou solide avec des transferts d’énergie et de masse, des changements de phases et des réactions chimiques, s’appuient sur deux volets :
- des développements numériques seuls capables de prendre en compte la totalité des phénomènes physiques
- des développements expérimentaux conçus pour valider certains aspects des modèles numériques (modèles de turbulences, effets radiatifs…)
Ces activités scientifiques mettent en jeu des connaissances utilisables dans plusieurs types d’applications (réacteurs nucléaires, cibles de production de neutrons ou d’isotopes…) et sont regroupées sous l’acronyme M.E.N (Multiphysique Expérimentale et Numérique). Elles s'appuient sur une plateforme de recherche expérimentale dont l’acronyme est F.E.S.T (Fluids Experiments and Simulations in Temperature) qui regroupe à la fois les installations expérimentales en température ainsi que les maquettes en eau et les simulations numériques nécessaires à la definition du design des expériences
Différents composants de cette platerforme sont décrits dans les liens suivants :
- Boîtes_à Gants
- Boucle FFFER (en cours de mise à jour)
- Installation SWATH (en cours de mise à jour)
Pour ceux qui veulent découvrir ce qu'est un sel fondu, voici un lien utile : les Sel_Fondus, qu'est-ce que c'est ?
Boite à gants
La manipulation des sels fluorés en boîte à gants permet à la fois de répondre aux critères de conservation des composés ainsi qu’aux conditions de protection des expérimentateurs. En effet, les fluorures présentent une certaine toxicité liée aux interférences possibles avec les équilibres de notre système physiologique qui comporte dèjà des ions du même type (Na+, K+, Mg2+, Ca2+ Li+, F-, …) (voir fiche toxicologique n°191 sur le site INRS www.inrs.fr).
Les fluorures sont des composés stables et peu réactifs. Certains cependant, comme KF et ZrF4, sont sensibles à la présence de vapeur d’eau qui conduit à température ambiante à une hydrolyse :
2KF +H2O --> K2O +2 HF
particulièrement néfaste. Cette réaction transforme le composé fluorure en composé oxyde, et implique le risque de devoir gérer la présence de fluorure d’hydrogène HF, corrosif et toxique.
Tous les fluorures que nous utilisons (LiF, KF, NaF, CaF2, ZrF4) sont livrés sous forme de poudre. Les résultats d’analyse reçus à l’achat concernent les polluants intrinsèques au sel (taux d’autres cations métalliques) mais malheureusement pas les effets dûs à un contact plus ou moins prolongé avec l’air durant, la fabrication, le conditionnement ou le stockage. Pour garantir une qualité parfaite des produits, une étape préalable de purification serait en fait nécessaire, assortie d’un contrôle du taux d’oxyde initial et final contenu dans les fluorures. Cette étape, envisageable à terme, n’est actuellement pas implémentée sur nos installations, les poudres sont utilisées après un dégazage sous vide primaire à 300°C et conservées dans les boîtes à gants sous argon purifié. La teneur en vapeur d’eau et en oxygène est contrôlée, les taux d’eau et d’oxygène maintenus sont de l’ordre du ppm (2 ppm pour l’oxygène, moins du ppm pour l’eau). Les boîtes à gants fonctionnent en « mode dépression » entre -15 et -30 mbar ce qui impose une constante surveillance de l’étanchéïté. Cette configuration est la plus adaptée cependant pour assurer en toute circonstance la protection des expérimentateurs.
L’installation utilisée au laboratoire est constituée d’une chaîne de trois boîtes à gants de forme et taille différentes communiquant entre elles. Le schéma ci-dessous montre une vue de dessus de l’ensemble.
La boîte de gauche est munie de balances et d’un mélangeur, c’est la boîte la plus petite mais on peut y stocker des sels sous forme de poudre en quantité ne dépassant pas quelques kilogrammes.
La boîte centrale est équipée d’une enceinte dépassant sous la boîte. Cette cuve de 240 mm de diamètre, visible sur la photographie, est munie d'un four à trois zones de chauffe qui vient se placer autour. La boîte de droite, de grandes dimensions (deux expérimentateurs de chaque côté ne peuvent pas se toucher même en tendant les bras au maximum), a jusqu’ici été utilisée comme zone de stockage de sel sous forme massive, d’usinage et de dégazage de matériaux. Il est prévu d’y insérer deux zones d'expérimentation sur des petites quantités de fluorure liquide.
Quelques exemples d’expérimentations :
- Travaux de mise au point des conditions d’obtention de lingots de fluorure de 7Li avec une forme particulière permettant l’insertion d’un détecteur en leur centre (photo de droite). Les moules utilisés sont en graphite, les essais ont été menés sur du lithium non enrichi (le lithium naturel contient une proportion de 7,5 % de 6Li). L’objectif était d’obtenir une structure compacte et homogène, exempte de porosité. La photographie de gauche montre la stucture de solidification que l’on obtient si l’on ne prend pas de précaution particulière lors de la cristallisation.
- Test d’une vanne à boisseau sphérique montée entre deux réservoirs contenant du LiF-NaF fondu. L’expérience a été montée en collaboration avec J. Etay (SIMAP - Saint Martin d’Hères). L’ensemble vanne et réservoirs, visible sur la photographie de gauche avant sa mise en place dans la boite à gants, a été testé entre 690° et 750°. Ces essais ont été suivis d’étapes de caractérisation microscopique des différents éléments constituant la vanne.
Sels fondus
Avant toute chose, il faut avoir en tête que «sel fondu» est un terme aussi générique que celui de «métal liquide» et que bien que ces fluides soient de nature très différente (interaction ionique, liaison métallique), ils ont aussi bien des aspects communs : technicité de leur mise en œuvre à haute température, rôles dans des procédés industriels (d'élaboration ou de traitement), thématiques scientifiques en jeu (Thermodynamique, Matériau..). Leur destin est parfois complètement interdépendant comme dans le cas de l'aluminium et de la cryolithe Na3AlF6 (l'obtention de l'aluminium à partir de l'alumine Al2O3 se fait par électrolyse en bain de cryolithe à 960° - procédé Hall-Héroult ). Sels et métaux liquides sont corrosifs si on ne contrôle pas leurs conditions d'utilisation. La maîtrise de ces deux milieux passe par la connaissance de leurs propriétés thermodynamiques et électrochimiques et aussi par la gestion des impuretés ou éléments d'alliages solvabilisés.
Les deux propriétés qui définissent un sel sont le caractère ionique et le fait qu'il soit cristallisé à température ambiante. De ce fait, la «zoologie» des sels fondus possibles est très étendue puisqu'elle comprend toutes les séries des halogénures de métaux (dont NaCl est le représentant le plus connu) ainsi que les hydroxydes, phosphates, nitrates et silicates. Les propriétés de tous les liquides correspondants sont aussi extrêmement variées.
Les sels fondus qui interviennent dans l'application «réacteurs nucléaires à sel fondu» sont exclusivement des fluorures pour des raisons liées au comportement neutronique favorable du fluor. Leur formulation est basée sur le fluorure 7LiF qui sert en quelque sorte de solvant pour les fluorures de noyaux lourds fissiles ou fertiles. Les sels de référence sont LiF-ThF4 ou bien LiF-ThF4-UF4. Lors du fonctionnement d'un réacteur, la composition du sel serait plus complexe puisque celui-ci peut contenir aussi d'autres éléments ajoutés lors du démarrage ou y apparaître (produits de fission). Pris séparément tous les fluorures ont des points de fusion élevés :
Fluorure | Tfusion (°C) |
LiF | 845 |
NaF | 995 |
ThF4 | 1110 |
UF4 | 1036 |
PuF3 | 1396 |
A titre de comparaison, notre chlorure de sodium a une température de fusion de 800°C et son équivalent en hydroxyde (NaOH), produit bien connu lui aussi puisqu'il s'agit de la soude, fond à 318°C.
La cristallisation des fluorures purs conduit à l'obtention d'un solide à très gros cristaux (plusieurs cm). Le bloc photographié ci-dessous est du fluorure de lithium, il a été obtenu au laboratoire lors de la série d'essais de solidification entrepris pour préparer l'élaboration de blocs de 7LiF. La cristallisation débute par les bords du container, on retrouve au centre une zone formée de plus petits grains que sur les bords (la cinétique de germination et de croissance des grains est différente) et légèrement teintée de rose du fait des impuretés rejetées dans la phase liquide lors de l'avancée du front de solidification.
Les mélanges de sels conduisent à un très fort abaissement de la température de fusion autour d'une composition « eutectique » . Le diagramme binaire LiF-NaF est un « cas d'école » parfait que nous pouvons décrire pour rappeler quelques notions de base sur les mélanges eutectiques, notions indispensables si on veut utiliser ce type de liquides, que ce soient des sels ou des métaux d'ailleurs (par exemple Pb-Bi). Dans ce diagramme, il n'y a pas de solubilité des corps à l'état solide et pas de composé intermédiaire.
En haut : Diagramme de phase binaire LiF-NaF En bas : Zone d'infiltration de liquide eutectique après solidification (Image MEB) |
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A droite : Bloc de fluorure de lithium |
Copyright Photographie : Luca Casonato |
Le solide de composition eutectique (environ 40% de NaF) fond à 652°, soit à une température bien plus basse que celle de ses constitutuants LiF et NaF. Le liquide est homogène mais le solide est composé de microdomaines de chacune des deux phases pures. Ceci est bien illustré sur la photographie prise en microscopie à balayage en mode rétro diffusé, mode qui est sensible à la masse atomique de l'élément. Le solide eutectique a une structure extrêmement fine qui provient d'une démixion locale au moment de la solidification; les bandes blanches sont constituées de NaF et les bandes grises de LiF. La zone présentée sur la photographie provient d'une infiltration de liquide entre des feuillets de graphite.
Si on s'écarte de la composition eutectique, la température à partir de laquelle on obtient une phase liquide complètement homogène s'élève. La signification de ce type de diagramme est sans doute plus facile à saisir en commentant un exemple pris dans le sens du refroidissement. Prenons par exemple un liquide de composition 70% de NaF. Tant que la température est supérieure à environ 900°C, le liquide est homogène. Dès que la température passe en dessous de la limite dessinée par la courbe rouge (« liquidus »), des cristaux de NaF commencent à germer sur des lieux préférentiels (parois de creuset, autres solides immergés...), et la composition du liquide évolue vers un taux plus faible en NaF. Si la température continue de descendre, le point représentatif de la composition du liquide décrit la courbe rouge, tandis que la quantité de NaF cristallisé augmente. En fin de solidification, il reste une certaine quantité de liquide qui a obligatoirement la composition eutectique, et qui cristallisera sous cette forme. La microstructure du solide obtenu n'est donc pas homogène, et la refusion sera partielle si la température n'est pas suffisamment élevée.
Dans un mélange à trois sels, on peut encore obtenir un abaissement supplémentaire de la température de fusion, comme le montre le diagramme de phase ternaire LiF-NaF-KF. Pour les personnes non familières avec ce type de diagramme, on peut rappeler que ce triangle est en fait la projection d'un diagramme en volume dont l'axe vertical correspond à la température. Les courbes vertes correspondent aux sections isothermes du «liquidus» (courbes rouges du diagramme binaire précédent), c'est le même principe que pour une carte topographique avec l'altitude. Chaque côté du triangle correspond à un diagramme binaire vu du dessus, dont on ne voit donc que la tranche. Sur le diagramme ternaire LiF-NaF-KF, les points bleus correspondent aux compositions eutectiques binaires LiF-NaF, NaF-KF et KF-LiF. Le point magenta correspond à la composition eutectique ternaire LiF-NaF-KF. C'est le point le plus profond du diagramme, situé au croisement des trois vallées qui dessinent les lieux des minima de température de fusion.
Le mélange de sel LiF-NaF-KF à la composition eutectique est celui qui a été choisi pour la boucle de sel (projet FFFER), du fait de sa température de fusion basse et aussi parce qu'il est l'un des mélanges de fluorure les mieux connus.
Après cette petite immersion dans les diagrammes de phase, on peut donner plus rapidement d'autres caractéristiques des fluorures dont il est plus simple de discerner les implications et peut-être aussi rectifier quelques idées préconçues communément répandues et très fausses.
- La densité du liquide varie fortement avec la température. C'est sur ce phénomène intrinsèque que le fonctionnement et la sûreté des réacteurs à sels fondus sont basés.
- Lors de la transition solide-liquide, les fluorures présentent un fort saut de densité. Ceci crée une importante rétractation lors de la solidification, d'où un avantage (possibilité de démoulage facile) et un inconvénient (pas d'étanchéïté au gaz d'une zone solidifiée).
- Les fluorures (excepté ZrF4) ont une faible tension de vapeur et un point d'ébullition élevé, ce qui autorise et facilite leur utilisation à haute température.
- La capacité calorifique (= aptitude à stocker la chaleur) est très bonne, elle est contrebalancée par une conductivité thermique (= aptitude à échanger) plutôt faible.
- La viscosité est faible, contrairement à ce que le terme de « sel fondu » évoque pour beaucoup de gens, sans toute à cause d'une analogie abusive avec la lave. Pour donner une vision plus juste, prenons des liquides familiers, eau et huile d'olive. Leur viscosités dynamiques sont respectivement de l'ordre de 0,001 Pa.s, et 0,9 Pa.s à température ambiante. La viscosité des fluorures se situe plutôt dans la gamme allant de 0,002 à 0,02 selon la température et la composition des mélanges. Dans le cas du sel utilisé dans la boucle du projet FFFER (mélange LiF-NaF-KF), la viscosité dynamique à 700°C est de 0,003 Pa.s, donc l'analogie la plus correcte serait ... l'eau.
- Les fluorures fondus sont transparents. Les propriétés optiques de ces fluides sont peu connues, elles dépendront fortement des impuretés dissoutes qui vont créer des bandes d'absorption. Avant de mettre en avant la transparence du sel pour penser inspection par imagerie dans le liquide, il faut rappeler que les fluorures dissolvent les composés oxydes. Les seules fenêtres utilisables sont donc ... en diamant.
- Les fluorures fondus sont des liquides stables. Leur réactivité avec l'atmosphère ambiante est essentiellement pilotée par la présence de vapeur d'eau qui conduit à la dissociation du fluorure. L'ion métallique s'associe avec l'oxygène de la molécule d'eau et l'ion fluorure avec l'hydrogène pour former un gaz peu sympathique, le fluorure d'hydrogène : HF. Le pouvoir autement corrosif accordé aux sels provient en grande partie de cette réaction qu'on retrouve avec les chlorures. La corrosion par l'air marin procède du même mécanisme, c'est l'acide chlorhydrique formé (HCl) qui est l'agent corrosif. Moralité, si on veut modérer les effets de ce mécanisme, il faut prohiber l'accès à la vapeur d'eau.
- Les autres mécanismes de corrosion sont tous liés à des échanges d'oxydo-réduction entre les cations présents dans le liquide (du sel lui-même ou des impuretés qui s'y sont dissoutes) et les matériaux en contact. Il est nécessaire de choisir correctement les matériaux utilisés et de contrôler ce qu'on appelle le « potentiel d'oxydo-réduction » du milieu. Ceci implique des travaux et des compétences à développer dans les domaines des Matériaux, Thermodynamique et Electrochimie.