1. La mesure du moment dipolaire électrique du neutron : l'expérience nEDM

L'expérience nEDM@PSI est portée par une collaboration d'une cinquantaine de personnes provenant d'une dizaine de laboratoires principalement en Europe. Trois laboratoires de l'IN2P3 (CSNSM Orsay, LPC Caen, LPSC Grenoble) sont membres de la collaboration.

1.1 Analyse des données

La période 2016-2018 a vu l'arrêt de l'exploitation du spectromètre développé dans les années 80 par la collaboration RAL/Sussex/ILL. Ce spectromètre, déménagée de l'ILL à PSI en 2009, est détenteur de la meilleure limite de l'EDM du neutron, dn < 3 10-26 e cm (90 % CL), publiée en 2006. Après plusieurs années consacrées à une remise à niveau et à des améliorations de l'installation - la plus notable étant l'ajout d'un ensemble de magnétomètres Cs - puis à l'optimisation des performances, la prise de données en conditions nominales s'est déroulée en 2015 et 2016, l'année 2017 ayant été consacrée à des mesures complémentaires. Un résultat préliminaire de la sensibilité statistique correspondant à l'intégralité de la période 2015-2016 a déjà été obtenu dans le cadre de la thèse de Yoann Kermaïdic (soutenue en octobre 2016). Depuis lors, l'implication de l'équipe dans l'analyse se poursuit en menant en parallèle le long et minutieux travail de vérification/consolidation de l'analyse et des études spécifiques pour estimer un certain nombre d'erreurs systématiques. Une thèse, celle de Laura Ferraris-Bouchez, est en particulier consacrée à l'extraction de la distribution spatiale du champ magnétique à partir de cartes 3D enregistrées à l'aide d'un robot lors de campagnes de mesure dédiées. Les inhomogénéités résiduelles du champ magnétique sont en effet à l'origine de plusieurs effets systématiques dont le principal, le faux EDM de mouvement du 199Hg. Le résultat définitif devrait légèrement améliorer la précédente mesure.

L'équipe a également mis à profit la disponibilité des données nEDM pour explorer d'autres canaux de nouvelle physique comme la recherche d'axions oscillants.

1.2 Conception du spectromètre n2EDM

Depuis déjà plusieurs années, la collaboration s'est engagée dans le développement d'un instrument de nouvelle génération, le spectromètre n2EDM, dans l'objectif d'atteindre une sensibilité de 10-27 e cm. Le futur dispositif reprendra les mêmes éléments de base que l'ancien instrument : appareil à température ambiante et magnétométrie combinée Hg/Cs mais sera de dimension sensiblement plus grande. La figure 1 montre un schéma de l'ensemble du dispositif.

UCN FIG1

Fig. 1 : Vue d'ensemble du spectromètre n2EDM. La double chambre de précession (5) se trouve dans une chambre à vide (4) elle-même située au centre d'un blindage magnétique (8,9) de dimension extérieure 5x5x5 m3. Les parties surlignées en bleu correspondent au trajet des UCN. Le switch (2,3) permet de guider les UCN de la source aux chambres de précession puis vers les détecteurs (6). Un aimant supra (1) permet de polariser les UCN

 

L'équipe du LPSC a pris la responsabilité de plusieurs tâches d'ampleur avec l'appui des services techniques du LPSC et est en charge de délivrer les éléments suivants :

  • Le switch UCN : ce système d'aiguillage, constitué de guides UCN mobiles de grand diamètre (130 mm), permet de guider les UCN de la source vers les chambres de précession durant le remplissage, puis des chambres vers les détecteurs après la séquence de Ramsey.
  • Un robot pour la cartographie 3D du champ magnétique. Ce travail consiste à adapter le robot utilisé précédemment aux nouvelles dimensions ainsi qu'à corriger certains défauts.
  • Le co-magnétomètre Hg qui permet de corriger les variations résiduelles du champ magnétique. Il s'agit d'injecter une vapeur polarisée de 199Hg dans les chambres de précession en même temps que les UCN. L'analyse de la précession des atomes 199Hg donne accès à la même moyenne spatio-temporelle de B que celle ressentie par les neutrons.
  • La source de courant pour la bobine principale : une source de courant ultra-stable (~ 0,01 ppm) est nécessaire pour garantir la stabilité du champ magnétique durant les 180 s du temps de précession.

Les trois premières tâches qui impliquent un important travail de conception mécanique au bureau d'études du SERM. Un design conceptuel du switch a été validé par la collaboration fin 2018 et les modifications du robot ont été aussi récemment approuvées. Un premier prototype de chambre de polarisation pour le magnétomètre Hg est en cours de test dans l'installation dédiée au LPSC (cf section 1.5.2). La source de courant quant à elle est développée le Service électronique. Deux prototypes de cartes contenant chacune deux sources de courant vont permettre de vérifier s'il est effectivement plus avantageux en termes de bruit de combiner plusieurs sources pour produire un courant donné. L'ensemble des développements devraient converger en 2019 pour être délivrés en 2020.

 

2. Métrologie du moment magnétique du 199Hg

Dans le cadre de la thèse de Y. Kermaïdic, une installation dédiée à la magnétométrie Hg a été développée au LPSC en 2016. Initialement prévu pour permettre des études R&D en vue de la conception du co-magnétomètre de l'expérience n2EDM, son programme s'est désormais élargi à la métrologie du facteur gyromagnétique du mercure. Cette nouvelle activité est financée par une bourse ERC (starting grant) obtenue par G. Pignol. Il s'agit d'améliorer d’un ordre de grandeur la précision afin que celle-ci soit comparable à celle du neutron, ce qui permettra de conforter la compréhension des effets systématiques pour n2EDM.

Pour atteindre la précision requise de 0.1 ppm, la mesure utilisera la technique dite de comparaison d'horloges en faisant précesser dans le même volume deux espèces : le 199Hg et l'3He dont le facteur gyromagnétique est connu à mieux que 0.1 ppm et qui servira de co-magnétomètre afin de mesurer et corriger les fluctuations du champ magnétique. Cette activité est conduite avec le support du SDI en particulier pour les aspects DAQ et la coordination technique de l'installation.

L'infrastructure nécessaire pour la partie 199Hg est désormais finalisée :

  • Laser UV à 254 nm

L’un des composants majeurs de l’expérience est le laser délivrant la lumière UV à 254 nm pour le pompage optique du mercure et la mesure de sa précession. Courant 2018, la réception du laser, sa prise en main et la mise en place du système de sécurité ont été réalisés. Plus récemment, l’étape critique d’asservissement en fréquence du laser sur la raie d’absorption saturée utilisée pour la mesure a été réalisée à l’aide d’une technique de FMS (Frequency Modulation Spectroscopy). Très prochainement, une mesure test de magnétométrie mercure sera réalisée dans cette configuration.

  • Banc de remplissage des cellules

Suite à des améliorations du design du banc de remplissage qui permet maintenant d’obtenir une pression résiduelle de l’ordre de 10-8 mbar avant remplissage des cellules, il est possible de remplir des cellules de spectroscopie (pour l’asservissement du laser UV) et de magnétométrie (pour la mesure) avec une absorption contrôlable et des performances supérieures au cahier des charges pour réaliser la mesure.

L'installation des composants nécessaires au fonctionnement de la partie 3He (laser, remplissage des cellules, décharge plasma) a débuté fin 2018 et sera réalisée en collaboration avec le CEA-LETI et l'ILL.

 

3. Étude des rebonds quantiques de neutrons ultra-froids : le projet GRANIT

Le projet GRANIT vise à la caractérisation d’un système quantique unique composé d’un neutron lié gravitationnellement à une surface réfléchissante. L’étude des niveaux d’énergies quantifiés de ce système (induction de transitions résonnantes entre niveaux grâce à un coupleur gravito-magnétique) ainsi que celle de l’extension spatiale des fonctions d’onde (atteignant la dizaine de micromètres et nécessitant des détecteurs sensibles à la position de résolution micrométrique) donne accès à des observables permettant une mesure simultanée des masses graves et inertielles du neutron. Les caractéristiques de ce système permettent également de contraindre l’existence de nouvelles forces à courte portée prédite notamment dans certains modèles d’énergies noires (caméléon, symétron).

3.1 Bilan de la période 2016-2018

Les équipes scientifique et technique du LPSC ont joué un rôle central dans la collaboration, en particulier pour la construction du spectromètre et les opérations au jour le jour sur l’expérience ainsi que pour l’analyse des données. Le dispositif expérimental est composé de deux instruments complexes couplés entre eux : d’une part une source super-thermale d'UCN qui convertit les neutrons froids issus du réacteur à haut flux de l’ILL par interaction résonnante dans l’hélium 4 superfluide ; d’autre part un spectromètre gravitationnel, constitué d’un ensemble de miroirs et de fentes permettant la préparation et la sélection d’états quantiques ainsi que l’induction des transitions. Le travail réalisé sur la période 2016-2018 a permis de :

  • Fiabiliser et améliorer les performances cryogénique (10 jours de fonctionnement continu), thermique (installation d’un filtre IR dans l’extraction pour permettre une ouverture continue de la source) et neutronique (amélioration du temps de stockage grâce à de l’huile Fomblin) de la source de neutrons ultra-froids.
  • Affiner les procédures d’alignement et de réglage du spectromètre. En particulier, après une première mise en œuvre du système, un nouveau support mécanique des miroirs a été construit afin de fiabiliser l’alignement des éléments optiques et supprimer les déplacements lors de la mise sous vide.
  • Mettre en service le spectromètre. La transmission de l’absorbeur a été mesurée avec une précision suffisante pour étalonner le spectromètre et mettre en évidence la nature quantique de la position verticale des neutrons. Un premier résultat basé sur 20 h de données a permis de détecter un premier signal de transition résonnante 2->1, compatible en fréquence et en intensité avec le signal attendu.
  • Développer de nouveaux détecteurs de neutrons ultra-froids. En collaboration avec l’équipe Plasma du LPSC (A. Bès, A. Lacoste), un procédé de dépôt de couches minces (20nm Ti/200nm 10B/20nm Ni) a été mis au point afin de réaliser une couche de conversion des neutrons en particules chargées. Ce multicouche a été déposé directement sur un capteur CCD afin d’obtenir un détecteur d’UCN sensible à la position de résolution micrométrique.

Les services techniques du LPSC ont réalisé le support mécanique et l'électronique dédiés permettant l’utilisation de 8 capteurs de ce type au sein du spectromètre GRANIT. Un second projet réalisé dans le cadre de la thèse de Y. Xi vise à déposer ce multicouche sur un substrat de scintillateur.

UCN FIG2

Fig. 2 : Vue de l'intérieur du spectromètre GRANIT en mode transition. Les UCN proviennent de la gauche et traversent successivement un volume de cuivre pour étaler le faisceau incident, une fente semi-diffusive pour sélectionner les neutrons sans vitesse verticale, le coupleur gravito-magnetique où la transition s'opère et, pour finir, la fente d'extraction pour sélectionner l'état fondamental.