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Gravitinos, modulis et échelle d'inflation [112]

Bien que non encore découverte, la supersymétrie (SUSY) est sans aucun doute la meilleure extension du modèle standard de la physique des particules. Elle fournit un cadre général pour comprendre l'origine de la différence entre les bosons et les fermions et donne des directions très prometteuses pour résoudre le problème de la hiérarchie (i.e. l'instabilité de l'échelle électrofaible vis-à-vis des corrections radiatives). En supersymétrie globale, les spinneurs générateurs $\xi$ satisfont à $\partial_{\mu}\xi=0$ [113]. Si l'on veut s'intéresser à la supersymétrie locale (i.e. à la supergravité), cette condition doit être assouplie et les $\xi$ deviennent fonction des coordonnées $x$. De nouveaux termes, proportionnels à $\partial_{\mu}\xi(x)$, doivent être "neutralisés" par l'introduction d'une particule de spin 3/2, appelée gravitino, à la manière des bosons vecteurs introduits en théories de jauge. Le gravitino fait partie d'un multiplet $N=1$ qui contient le graviton, de spin 2 (voir [114] pour une revue introductive), et, dans la phase brisée de la supersymétrie, des effets de type super-Higgs le rendent massif par absorption des fermions de Nambu-Goldstone associés à la brisure de SUSY.

Il est connu depuis longtemps que si le gravitino est instable des contraintes sévères existent sur sa masse afin d'éviter une surproduction d'entropie [115]: $m_{3/2}\gtrsim 10$ TeV. D'un autre coté, s'il est stable, sa masse doit satisfaire $m_{3/2}\lesssim 1$ keV [116] afin de garder une densité de gravitinos inférieure à celle de l'Univers ( $\Omega_{3/2}<\Omega_{tot}$). En dépit de la gigantesque dilution induite, l'inflation ne résoud pas complètement ces problèmes car des gravitinos doivent être à nouveau produits par diffusion lors du processus de reheating à la fin de celle-ci [117,118,119,120,121,122,123]. Etant donné que le nombre de gravitinos ainsi produits est proportionnel à la température de reheating $T_{RH}$, il est possible de lier l'échelle d'énergie de l'inflation avec la requête que les gravitinos ne soient pas sur-produits. Nous avons ainsi récemment montré [112] que les expériences CMB pourraient permettre d'exclure la supergravité. En effet, la cosmologie de précision est entrée, ces dernières années, dans une nouvelle ère (voir [124] par exemple) grâce à Maxima, BOOMERanG, ACBAR, DASI, CBI, VSA, ARCHEOPS & WMAP. L'ensemble de ces mesures a conforté le paradigme inflationnaire en montrant des fluctuations gaussiennes, invariantes d'échelle et une densité très proche de la densité critique. Le point important ici est que la polarisation a, pour la première fois, été mise en évidence [125,126]. Pour l'instant, seul le mode E (pair) a été vu et le mode B (impair) reste à découvrir. Ce dernier est particulièrement important parce qu'il signerait les ondes gravitationnelles primordiales. De très gros efforts sont actuellement consacrés à la recherche de ce mode B et nous avons établi qu'une détection contredirait la supersymétrie locale parce qu'elle requiérerait une échelle d'inflation ($\sim 10^{16}$ GeV) si haute qu'elle entrerait clairement en conflit avec la limite supérieure venant des gravitinos ($\sim 10^{12}$ GeV en étant très conservatif).

Le lien avec les petits trous noirs vient de ce que leur mise en évidence pourrait, elle aussi, être liée à l'échelle d'énergie de l'inflation. En fait, les PBH ne peuvent se former qu'avec des masses très voisines de la masse de Hubble à l'instant considéré (pour des raisons évidentes de causalité). Il s'ensuit que si de tels trous noirs étaient détectés, i.e. si leurs masses actuelles étaient de l'ordre de $10^{12}-10^{15}$ g, la masse de l'horizon dans l'Univers primordial devrait avoir présenté des valeurs de cet ordre de grandeur. Ce qui signifie que l'échelle d'énergie de reheating ne pourrait avoir été trop basse. L'idée consiste donc à étudier les contraintes qui pourraient être obtenues en supposant que des expériences futures (en particulier AMS, bien-sûr) détectent un flux d'antideutérons dû à des trous noirs primordiaux. On peut d'abord noter qu'il serait assez simple de discriminer ce signal d'un signal de neutralinos en annihilation pour la simple raison que l'espace des paramètres SUSY correspondant aura été exploré par le LHC. La figure 3.4 présente, à gauche, les températures de reheating possibles en fonction de la densité totale de trous noirs primordiaux pour 4 flux différents de $\bar{D}$. Si l'on tient compte de la limite supérieure obtenue sur $\Omega_{PBH}$ dans les chapitres précédents, cela se traduit par une limite inférieure sur $T_{RH}$ en fonction du flux de $\bar{D}$, présentée sur la droite de la figure avec la sensibilité de deux expériences.

Figure: Gauche : Températures de reheating possibles $T_{RH}$ en fonction de la denstité de PBH pour différents flux d'antideutérons à 100 MeV: $2\times 10^{-7}$, $2\times 10^{-8}$, $2\times 10^{-9}$, $2\times 10^{-10}$ de droite à gauche en ${\rm
m}^{-2}{\rm s}^{-1}{\rm sr}^{-1}{\rm GeV}^{-1}$. Droite : Limite inférieure sur $T_{RH}$ en fonction du flux d'antideutérons à 100 MeV.
\scalebox{0.35}{\includegraphics{ps/reheat.eps}} \scalebox{0.35}{\includegraphics{ps/plot.eps}}

Il est intéressant de tenir alors compte du "problème" des gravitinos et de déduire de ces limites sur la température de reheating une contrainte sur la masse de ces particules. Il faut résoudre une équation de type Boltzmann pour les gravitinos [127]:

\begin{displaymath}\frac{dn_{3/2}}{dt}+3Hn_{3/2}=
<\Sigma_{tot}v_{rel}>n_{rad}^2-\frac{m_{3/2}}{<E_{3/2}>}
\frac{n_{3/2}}{\tau_{3/2}}\end{displaymath}

$H$ est le paramètre de Hubble, $n_{rad}=\zeta(3)T^3/\pi^2$ est la densité numérique de bosons scalaires dans le bain thermique, $v_{rel}$ est la vitesse relative de la radiation qui diffuse, $m_{3/2}/(<E_{3/2}>)$ est le facteur de Lorentz moyen, $\tau_{3/2}$ est le temps de vie moyen d'un gravitino (calculé avec le lagrangien SUGRA) et $\Sigma_{tot}$ est la section efficace totale (calculée dans le MSSM). On suppose ensuite que les gravitinos se désintègrent essentiellement en photons et photinos (avec un rapport de branchement $B$) dont les créations de paires, diffusions Compton, inverse Compton, et diffusions $\gamma-\gamma$ sont prises en compte. En demandant que la photo-dissociation ainsi induite sur les éléments légers ne modifie pas le scénario de la nucléosynthèse primordiale au-delà des containtes observationnelles, on peut en déduire une limite sur la masse des gravitinos [127]. Une étude plus exhaustive est présentée dans [83]. La figure 3.5 présente cette limite sur la partie gauche pour trois valeurs du rapport de branchement. Il est à noter que la dépendance en $B$ est non-triviale parce qu'en modifiant celui-ci, on modifie aussi le temps de vie du gravitino et donc également les effets sur la destruction de l'$^3He$ et du $D$. Enfin, il est intéressant de jouer le jeu de lier ces masses à des paramètres plus fondamentaux encore. Cette fois, le résultat devient très "modèle-dependant". Dans le cadre d'un modèle grand-unifié (GUT) conduisant naturellement à des échelles de masses de l'ordre de $10^2-10^3$ GeV grâce à une configuration spécifique du champ de dilaton en supergravité [128], on peut lier la masse du gravitino aux paramètres par :

\begin{displaymath}
m_{3/2}=\left(
\frac{5\pi^{\frac{1}{2}}\lambda}{2^{\frac{3}{...
...a_{GUT})\left(\frac{M_{GUT}}{M_{Pl}}\right)^{3\sqrt{3}}M_{Pl},
\end{displaymath}

avec $M_{GUT}\sim 10^{16}$ GeV et un couplage de jauge $\alpha_{GUT}\sim
1/26$. La figure 3.5, à droite, présente la limite corrélative sur la constante de couplage $\lambda $ (du 24-multiplet) que l'on peut ainsi obtenir. Bien-sûr, cette dernière approche est très spéculative. Mais elle montre que, de façon très indirecte, la présence de trous noirs primordiaux renseignerait sur de nombreux paramètres physiques fondamentaux.

Figure: Gauche : Limite inférieure sur la masse du gravitino en fonction du flux d'antideutérons mesuré pour 3 valeurs de rapports de branchement. Droite : Limite inférieure sur la constante de couplage $\lambda $ en fonction de la température de reheating.
\scalebox{0.35}{\includegraphics{ps/gravitino.eps}} \scalebox{0.35}{\includegraphics{ps/lambda.eps}}

Cette voie est encore à creuser. En particulier, deux points importants devraient être explorés plus en détails. Le premier est relatif au modèle particulier de supergravité choisi. Nous avons ici raisonné essentiellement dans le cadre mSUGRA où la masse du gravitino est, par construction, attendue autour de l'échelle électrofaible (disons entre 100 GeV et 1 TeV). Il serait intéressant de considérer plus en profondeur les alternatives et, en particulier, les modèles de type GMSB (brisure de supersymétrie à médiation de jauge) qui sont beaucoup discutés en ce moment. Leur intérêt essentiel réside en ce qu'ils permettent une supression naturelle du taux de changement de saveur dans les courants neutres grâce à une basse échelle d'énergie. Dans ces cas, les gravitinos sont les particules supersymétriques les plus légères (LSP) avec des masses comprises entre 100 keV et 10 MeV. La contrainte sur $T_{RH}$ est alors encore plus stricte puisqu'il sagit cette fois d'avoir une densité de gravitinos inférieure à la densité totale (les gravitinos sont ici stables si la R-parité est conservée) : $T_{RH}<10^6-10^3$ GeV selon la masse. Une étude globale de la validité des limites dans les différents modèles supersymétriques serait une extension intéressante du travail réalisé.

Il serait aussi important de voir comment ces limites s'accordent avec les modèles faisant intervenir des transitions des phase du premier ordre [129]. Dans ces derniers, les trous noirs résultent de la collision de bulles de "vrai vide" dans un fond de "faux vide" et des trous noirs peuvent de former avec des masses dont la valeur dépend de la théorie de champ sous-jacente utilisée [5].

Un autre point important concerne les modèles d'inflation. De façon à concilier inflation à haute échelle d'énergie et supersymétrie locale, des modèles de type inflation thermique ont été développés [130]. L'idée de base est de tenir compte de ce que, au cours de l'évolution cosmologique, la dilution s'effectue de façon approximativement isentropique $n/s \approx cte$. Si donc une grande quantité d'entropie (par exemple via un champ scalaire qui domine la radiation à une certaine époque) est libérée dans l'Univers avant que les gravitinos ou autres champs de moduli ne se désintègrent, le problème peut être, dans une large mesure, évité. On retrouve cette idée dans le modèle du curvaton [131]. Il serait utile d'étudier plus en détail dans quelle mesure une détection de trous noirs primordiaux corrélée à une éventuelle détection de gravitinos légers auprès d'autres expériences pourrait favoriser un tel scénario cosmologique. Une question similaire se pose d'ailleurs pour le mode B dans le CMB.

Enfin, un certain nombre de modèles d'inflation actuellement très discutés prédisent un running spectral index $\alpha_s$, autrement dit supposent que le $P(k)$ n'est pas invariant d'échelle. Le spectre est alors généralement paramétrisé sous la forme

\begin{displaymath}P(k)=P(k_0)\left( \frac{k}{k_0} \right)^{n_s(k_0)+\frac{1}{2}\alpha_s ln(\frac{k}{k_0})}\end{displaymath}

$k_0$ correspond typiquement à l'échelle du CMB. Les limites supérieures sur la densité de PBH que nous avons obtenues conduisent à une limite très forte sur le paramètre de running : $\alpha_s \lesssim 0.16$. Une voie d'investigation à ouvrir en ce sens consisterait à traduire cette limite en termes des paramètres fondamentaux de ces modèles. Le point est en discussion avec l'IAP.


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Aurelien Barrau 2004-07-01