Pour rechercher les trous noirs primordiaux éventuellement présents dans
l'Univers et soumis au processus d'évaporation précédemment mentionné,
les antiprotons cosmiques
constituent une sonde particulièrement favorable : le rapport , de
l'ordre de pour les processus conventionnels, assure une faible
contamination due aux mécanismes de spallation. Une composante ténue,
issue de l'évaporation de trous noirs, pourrait donc être aisément
mise en évidence. Il convient néanmoins d'étudier en premier lieu la
composante secondaire, produite par les phénomènes physiques habituels, qui constitue dans
cette approche un bruit de fond dont la connaissance est indispensable.
L'élément fondamental pour décrire une population de rayons cosmiques galactiques est un modèle fiable de diffusion. Nous utilisons ici l'approche "à deux zones" initiée au LAPTH. Cette approche est mathématiquement équivalente à la fameuse "boîte qui fuit" utilisée durant des décénnies. Elle présente néanmoins trois avantages substantiels qui ont motivé notre choix : d'abord, c'est une démarche plus physique puisqu'elle ne suppose pas l'homogénéité de la "boîte qui fuit" (elle-même en contradiction avec l'idée même de diffusion), ensuite les paramètres qui y sont utilisés peuvent être directement liés à des observables physiques, enfin c'est l'unique façon de prendre en compte les termes sources primaires qui seront utilisés ultérieurement. La figure 1.1 présente les ingrédients fondamentaux du modèle. Les détails techniques et les longues formules analytiques sont exposés dans [12,13]. Nous donnons ici les idées essentielles.
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La géométrie de la galaxie est supposée cylindrique avec une extension kpc, la matière (les étoiles et le gaz) étant confinée dans un disque fin d'épaisseur pc. Les cinq paramètres de ce modèle sont , (décrivant la normalisation et l'indice spectral du coefficient de diffusion où R est la rigidité), la demi-hauteur du halo , la vitesse de convection et la vélocité d'Alfvén . Ils sont laissés libres dans une certaine gamme qui est déterminée par la compatibilité des flux calculés avec les flux mesurés pour les noyaux cosmiques [13].
Le terme source de cette étude est constitué des flux de protons et d'Hélium, tels que mesurés par les expériences AMS et BESS [14,15] et présentés sur la figure 1.2. Le meilleur ajustement (présenté sur la figure) est : où représente l'énergie cinétique par nucléon et le flux différentiel. Les incertitudes sur les paramètres n'excèdent pas 1% et sont donc sans conséquence.
Le terme dominant pour le calcul du flux d'antiprotons secondaires vient des
interactions (l'un étant un rayon cosmique et l'autre un noyau d'hydrogène
interstellaire). Comme la plupart des études sur les rayons cosmiques, nous utilisons
ici la paramétrisation de Tan & Ng [16] pour la section efficace et
écrivons le terme source :
(1.18) |
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Une fois créés, les antiprotons peuvent interagir avec le milieu interstellaire de
différentes façons. D'abord, il peuvent interagir élastiquement. Les sections
efficaces étant très piquées en avant, les pertes d'énergie correspondantes sont
négligeables. Ensuite, ils peuvent s'annihiler. Ce processus est dominant à basse
énergie et les sections efficaces sont données par [19]. Enfin, ils peuvent
subir des interactions inélastiques non-annihilantes. Dans de tels cas, il survivent
à la collision mais perdent de l'énergie. Le terme source correspondant s'écrit :
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La figure 1.4 présente les flux ainsi obtenus. Dans la partie gauche, les
valeurs des sections efficaces nucléaires sont fixées à leurs moyennes et seules
figurent les incertitudes liées aux paramètres astrophysiques du modèle. La gamme
de variation de ces derniers est déterminée en demandant que le modèle reproduise
correctement les flux B/C (rapport de l'abondance du Bohr au Carbone) [13]. La partie droite présente, au
contraire,
les incertitudes nucléaires seules. Il est intéressant de noter que, contrairement
à ce qui aurait pu être attendu, ce sont les erreurs associées aux processus
subatomiques qui dominent. Les autres incertitudes (flux primaires, densité
d'hydrogène galactique, modulation solaire, etc.) sont nettement sous-dominantes
[12].
La conclusion essentielle de cette étude consiste à montrer que, dans un modèle
physique dont les paramètres sont fixés par d'autres données, les flux
d'antiprotons sont très bien expliqués. Les points expérimentaux sont en
excellent accord avec les calculs lorsque la composante tertiaire et la diffusion
énergétique sont prises en compte. C'est une bonne nouvelle pour la maîtrise du
bruit de fond et la fiabilité de la démarche. C'est une nettement moins bonne
nouvelle pour la recherche de nouvelle physique puisque l'ensemble du spectre est
expliqué sans recourir à des objets exotiques (en particulier à basse énergie,
là ou un excès a longtemps été envisagé). Cela permet néanmoins de mettre
d'excellentes limites supérieures (puisque, précisément, il n'y a "plus de
place" pour d'autres processus).
Peut-on pousser l'ambition jusqu'à considérer qu'une excellente mesure astrophysique du flux d'antiprotons donnerait une mesure des sections efficaces nucléaires? Je pense que c'est encore une boutade et sans doute très prématuré. Mais, dans un futur un peu plus lointain...