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Des astres très compacts

On savait d'emblée que les AGN ne pouvaient avoir de grandes dimensions, puisque sur les clichés photographiques, ils apparaissaient comme de simples étoiles. Leur taille angulaire devait donc être inférieure à une seconde d'arc environ, résolution habituelle des images pour un astre observé sous l'atmosphère terrestre. A la distance de 3C273, cela correspond à quelques milliers d'années lumière, ce qui est déjà nettement plus petit qu'une galaxie classique. Mais la découverte fondamentale venait de la mise en évidence, par l'Observatoire de Harvard aux Etats-Unis, d'une fluctuation erratique de l'éclat. Il pouvait augmenter ou diminuer d'un facteur 10 en un mois. Les ordres de grandeur des limites supérieures appliquables à la taille des sources variables peuvent intuitivement se fixer très rapidement (bien que là encore, il sera montré ultérieurement que cela n'est pas exact dans certains cas). Supposons que la surface d'une étoile se mette brutalement à rayonner deux fois plus. Même si ce changement est instantané, l'augmentation d'éclat que percevra un observateur ne sera pas instantanée, mais étalée sur un temps égal à $R/c$, $R$ étant le rayon de l'étoile, simplement parce que les photons venant du point le plus proche arrivent avant ceux venant du point le plus lointain de l'astre. Le temps caractéristique de variation multiplié par $c$ est donc une estimation la taille maximum de l'étoile.

On savait donc dès 1965 que 3C273 avait une dimension inférieure à un mois de lumière. Il était difficile d'imaginer quelle sorte d'objet pouvait conjuguer une puissance aussi grande et un volume si petit : étoiles supermassives et explosions en chaîne de supernovae furent évoquées. Dans les deux cas, l'objet tirait son énergie des réactions thermonucléaires. Le problème se compliqua singulièrement lorsqu'on découvrit d'autres AGN dont certains subissent des sautes d'éclat d'un facteur 10 en quelques heures. Cette fois la taille de l'objet se réduisait à celle du système solaire.

On connaît aujourd'hui plus de 10000 noyaux actifs de galaxies découverts par les techniques les plus variées. $90\%$ d'entre eux ne sont d'ailleurs pas associés à des sources radios, contrairement à ce qu'aurait pu laisser croire l'histoire de leur découverte. Fort heureusement, tous les AGN ont un décalage spectral vers les grandes longueurs d'onde, ce qui conforte et même confirme l'hypothèse cosmologique. La plupart des $z$ mesurés sont voisins de 2 ou 3, le plus élevé étant pour l'instant de l'ordre de 5. Cela signifie que les raies observées dans cette source se trouvent à des longueurs d'onde 6 fois plus grandes que leur valeur d'émission. La raie Lyman $\alpha $ qui se trouve habituellement dans l'ultraviolet lointain est ainsi repoussée dans le rouge! La recherche d'AGN plus lointains encore, présentant leur raie Lyman $\alpha $ dans l'infrarouge, vers 2 ou 3 microns, est aujourd'hui très active, d'autant qu'ils pourraient, par suite d'une amplification gravitationnelle (dont la probabilité augmente avec la distance), être particulièrement brillants.

La distance des AGN les plus lointains est presque égale au rayon de l'Univers observable. Cette distance ne peut bien sûr pas être déterminée avec précision puisque l'on ne connaît exactement ni la constante de Hubble, ni la géométrie de l'Univers. On peut toutefois affirmer qu'elle est de l'ordre d'une dizaine de milliards d'années lumière, c'est-à-dire que nous voyons ces AGN tels qu'ils étaient seulement quelques milliards d'années après le Big Bang. Leur simple observation montre donc qu'à cette époque primitive, des objets très lumineux et très petits peuplaient l'Univers. La répartition des décalages spectraux montre d'ailleurs que les AGN semblent avoir été très nombreux il y a près de 10 milliards d'années. 3C273, Mrk421, Mrk501 souvent cités comme exemples sont donc une exception de ce point de vue...

Compte-tenu de la variabilité précédemment mentionnée, la radiance des AGN (c'est-à-dire la puissance émise par unité de surface) atteint couramment $10^{14}$ watts par mètre carré, ce qui est un million de fois plus grand que le flux du Soleil. Autrement dit, en plaçant dans un cube de $10^{13}$ mètres de côté les étoiles de type O les plus brillantes de façon qu'elles se touchent, la puissance rayonnée ne serait que quelques pour cents de celle nécessaire pour expliquer des observations. Même en imaginant l'explosion simultanée d'un grand nombre de supernovae, il n'est pas possible de rendre compte de l'énergie libérée par les AGN. En fait l'énergie thermonucléaire elle-même, dont l'efficacité de conversion de masse est très faible $(<1\%)$, ne suffit pas à expliquer le rayonnement des AGN. Il faut un processus plus efficace de un ou deux ordres de grandeur.

Le seul mécanisme "conventionnel" connu pour expliquer une telle source d'énergie repose sur la présence d'un champ gravitationnel induit par un astre suffisamment massif et compact. Pour donner une idée intuitive et naïve du schéma énergétique, on peut écrire l'énergie potentielle $E_{grav}$ d'un corps de masse $m$ à une distance $R$ d'un astre de masse $M$ (pour une constante de gravitation $G$):

\begin{displaymath}E_{grav}=-\frac{GmM}{R}\end{displaymath}

Si le corps tombe sur cet astre, son énergie cinétique, qui égale l'énergie potentielle tant qu'aucun rayonnement n'est émis, s'écrit :

\begin{displaymath}E_{cin}=\frac{mV^2}{2}=\frac{GmM}{R}\end{displaymath}

Si un freinage intervient, cette énergie peut se convertir en rayonnement et toute l'énergie cinétique accumulée à la distance $R$ est virtuellement disponible. Il apparaît immédiatement que celle-ci est d'autant plus importante que l'attracteur est massif et que son rayon est petit. La chaleur dégagée par un corps tombant sur le Soleil est $10^5$ fois moins grande que s'il tombait sur une étoile à neutrons de même masse. Pour une masse donnée, le corps le plus compact que l'on puisse fabriquer est évidemment un trou noir. En écrivant la vitesse de libération (par égalisation de l'énergie cinétique et de l'énergie potentielle) d'une particule de vitesse $c$ à une distance $R_S$ d'un astre de masse $M$, on obtient :

\begin{displaymath}R_S=\frac{2GM}{c^2}\end{displaymath}

ce qui définit le Rayon dit de "Schwarzschild" d'un trou noir de masse $M$. L'énergie qu'une masse $m$ pourra rayonner, c'est-à-dire son énergie cinétique à la distance $R$ s'écrit donc :

\begin{displaymath}\frac{GMm}{R}=\frac{GM}{R_S}\frac{R_S}{R}m=\frac{1}{2}\frac{R_S}{R}mc^2\end{displaymath}

Ce qui signifie que pour un trou noir, l'énergie disponible au moment où la matière pénètre à l'intérieur peut atteindre $50\%$ de $mc^2$. Bien-sûr, ce scénario est extrêmement simpliste et il faut tenir compte du moment cinétique, de la structure de l'ergosphère et des corrections relativistes, ce qui revoit à la baisse ces estimations. Les ordres de grandeur permettent néanmoins de fixer les idées et demeurent corrects.

En supposant une efficacité de conversion de masse de $10\%$, on trouve que la puissance de $10^{40}$ watts est obtenue par accrétion de 15 masses solaires par an. Si ce processus dure $10^8$ années (ce qui est l'ordre de grandeur estimé par des arguments statistiques), cela signifie que le trou noir a "englouti" $10^9$ masses solaires. Le rayon de Schwarzschild se trouverait alors autour de quelques $10^{12}$ mètres. L'essentiel de l'énergie étant rayonné au voisinage du trou noir (légèrement au-delà de la surface), la dimension caractéristique de la source de rayonnement avoisinerait $10^{13}$ mètres, ce qui est précisément suggéré par la variabilité. On peut donc, par cette image très schématique, rendre compte à la fois de la puissance totale émise et de la taille de la zone d'émission.

Il demeure néanmoins une limite très importante à ce type de raisonnement car la luminosité d'un astre est bornée indépendamment de sa masse. Cette limite nommée "luminosité d'Eddington" vient de ce que la pression créée par le rayonnement d'un corps peut stopper le phénomène d'accrétion. Dans un plasma, la force principale que le rayonnement exerce est due à la diffusion Thomson des photons sur les électrons. La force de pression radiative subie par chaque électron s'écrit alors $F_{rad}=\frac{\sigma_T L}
{4\pi R^2c}$ avec $\sigma_T$ la section efficace de Thomson et $L$ la luminosité. La luminosité d'Eddington s'obtient simplement en égalant cette force avec l'attraction gravitationnelle:

\begin{displaymath}\frac{\sigma_T L_{Edd}}{4\pi R^2c}=\frac{GMm_H}{R^2}\end{displaymath}

$m_H$ est une masse effective qui tient compte de la présence de protons couplés aux électrons dans les diffusions. Ces expressions, déduites d'hypothèses très simplificatrices (comme une accrétion sphérique, ce qui est tout à fait inexact dans le cas étudié) donnent néanmoins des ordres de grandeur corrects qui montrent que le schéma des AGN ici présenté est à peu près consistant.


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Aurelien Barrau 2004-07-01