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Matière noire [79]

Ce chapitre (re)considère les trous noirs primordiaux (pas nécessairement dans le cadre de l'approche EDGB présentée ci-dessus, mais en toute généralité) comme candidats à la matière noire froide dans le contexte des modèles cosmologiques présentant une brisure d'invariance d'échelle dans le spectre de puissance primordial, c'est-à-dire en relâchant la contrainte habituelle $n=1$. Des approches analytiques permettent de lier directement et simplement la singularité du potentiel du champ d'inflaton aux caractéristiques du spectre [53] et rendent bien compte d'un certain nombre d'observations [54] tout en généralisant les conditions canoniques des modèles inflationnaires [53]. Les résultats que nous présentons ici ne sont pas en contradiction avec les valeurs très faibles ( $\Omega_{PBH}<4\times 10^{-9}$) données dans le chapitre ``Comment traquer les trous noirs primordiaux". En effet, celles-ci résultaient d'une grande sensibilité observationnelle aux trous noirs dont la masse se situe autour de $M_*\approx 10^{15}$ g. Nous nous intéressons maintenant au cas où le spectre de masse des trous noirs permet d'échapper à cette limite. L'étude précédente garde néanmoins tout-à-fait son sens à partir du moment où on la considère comme une mesure locale autour de $M_*$. Les contraintes cosmologiques qui en résultaient (paragraphe ``Univers primordial") sont donc valides et indépendantes des considérations ici présentées.

Dans un premier temps, nous prenons en compte la limite supérieure sur la température de ``reheating" dérivée de la désintégration des gravitinos. En effet, dans les modèles supersymétriques de type mSUGRA (où la brisure spontanée de supersymétrie a lieu dans un secteur caché qui communique avec le secteur visible par la gravité uniquement), la masse du gravitino est attendue dans la gamme 100 GeV - 1 TeV (i.e. autour de l'échelle électrofaible) [81]. Or, dans ce cas, les gravitinos produits dans le bain thermique à l'issue de l'inflation vont se désintégrer en photons (et photinos) dont le nombre et l'énergie entrent en conflit avec la nucléosynthèse (voir, par exemple [82] ou [84] pour des revues). Pour échapper à ce problème (à l'origine d'un grand nombre de développements dans les théories inflationnaires), la température de reheating doit être inférieure à environ $10^8$ GeV (cette limite peut être légèrement relâchée si l'on considère que le rapport de branchement des gravitinos en photons n'est pas unitaire, mais elle demeure dans cet ordre de grandeur).

Or, cette limite se traduit par une masse de l'horizon $M_H$ à la fin de l'inflation relativement grande, en tous cas plus grande que $M_*$. Les trous noirs primordiaux éventuellement formés avant l'inflation étant aujourd'hui en quantités négligeables à cause de la dilution exponentielle, il en résulte que leur spectre de masse, quelle que soit sa forme, doit être coupé en dessous de $M_H$. Les limites émanant de la détection des gammas et antiprotons sont donc naturellement évitées sans recourir à un subterfuge. En utilisant le formalisme développé au chapitre 2.1 de ce mémoire et le lien entre la densité totale et la fraction de masse [52]

\begin{displaymath}\Omega_{PBH,0}(M_{PBH})\approx 1.3 \times 10^{17} \beta (M_{P...
...left( \frac{10^{15}~{\rm g}}{M_{PBH}} \right)^{\frac{1}{2}}~,
\end{displaymath}

on peut calculer l' amplitude du saut dans le spectre primordial permettant de conduire à une densité $\Omega_{PBH,0}$ de trous noirs (en unité de densité critique) aujourd'hui :

\begin{displaymath}p\approx\frac{\sigma_{H}^{COBE}}{\delta_{min}}\sqrt{LW\left\{...
...H,0}^2}\left[ \frac{10^{15}~{\rm g}}{M_{H,e}} \right]\right\}},\end{displaymath}

$LW$ est la fonction LambertW (définie par $LW(xe^x)=x$) et $M_{H,e}$ est la masse de Hubble à l'instant considéré. On rappelle que le rapport de la puissance entre les grandes et les petites échelles vaut $p^2$. Avec $\Omega_{PBH,0}\approx\Omega_{m,0}\approx 0.3$, les estimations numériques conduisent à : $p\approx 6.5\times 10^{-4}$ pour $M_{H,e}=10^{15}~{\rm g}$, $p\approx 5.5\times 10^{-4}$ pour $M_{H,e}=10^{25}~{\rm g}$, $p\approx 4.1\times 10^{-4}$ pour $M_{H,e}=10^{35}~{\rm g}$ avec $\delta_{min}=0.7$ (valeur conservative). En principe, rien ne borne inférieurement la valeur de la température de reheating (sauf, bien-sur, la nucléosynthèse primordiale) qui peut être aussi basse que le MeV, conduisant alors à des masses d'horizon considérables, de l'ordre de $10^{38}$ g. Cette valeur peut donc être considérée comme la limite haute de la coupure basse dans le spectre de masse des PBH. Si l'on appelle $M_s$ la masse correspondant à la brisure d'invariance (pour laquelle la seule requête est d'être supérieure à $M_{H,e}$ et inférieure à $M_{H,CMB}$), on peut donc noter que l'espace des paramètres $M_{H,e}\gg 10^{16}~{\rm g}$ pour lequel les trous noirs primordiaux pourraient être la matière noire froide est considérable. Il est important de remarquer que les trous noirs dont il est ici question, bien que classiques dans leur comportement (ils ne s'évaporent pas, leur masse est importante) sont ``quantiques" par essence dans la mesure où le caractère classique des fluctuations inflationnaires n'était pas encore totalement effective à leur formation : juste à la fin de l'inflation, le squeezing du mode décroissant est faible. Seraient-ils les seules véritables reliques quantiques (au sens du champ d'inflaton) dans l'Univers contemporain ?

Intéressons nous maintenant au cas où la limite supérieure sur la température de reheating n'est pas prise en compte. Cela est cohérent dans les modèles d'inflation thermique ou si, plus simplement, on ignore les modèles supersymétriques qui résistent toujours à toute mise en évidence expérimentale ! Dans ce cadre, où l'échelle d'énergie naturelle de l'inflation est haute (et pourrait être signée dans les années à venir par la présence de mode polarisé B dans le fond de rayonnement cosmologique [85]), il est nécessaire ``d'ajuster" les paramètres plus précisément pour éviter que les rayons cosmiques énergétiques émis par les trous noirs peu massifs (et donc en évaporation intense) n'entrent en conflit, eux-mêmes, avec la production d'éléments fragiles (deutérium par exemple) observés. Ce sont ici, non plus les trous noirs mais les reliques (cf section précédente) qui pourraient contribuer à la matière noire. Avec [79] la relation

\begin{displaymath}\Omega_{rel,0} \approx 1.3 \times 10^{17} \beta (M_{PBH}) \fr...
...)
\left( \frac{10^{15}~{\rm g}}{M_{PBH}} \right)^{\frac{3}{2}}\end{displaymath}

entre la densité de reliques aujourd'hui $\Omega_{rel,0}$, la masse du trou noir à la formation $M_{PBH}$ et la masse des reliques aujourd'hui $M_{rel}$, il est possible de reprendre la démarche précédente. Elle conduit alors à :

\begin{displaymath}p\approx\frac{\sigma_{H}^{COBE}}{\delta_{min}}\sqrt{LW\left\{...
...]^2
\left[ \frac{10^{15}~{\rm g}}{M_{H,e}} \right]^3\right\}}.
\end{displaymath}

Si ces reliques doivent expliquer $\Omega_{m,0}\approx0.3$, alors $p$ varie de $7.1\times 10^{-4}$ à $5.5\times 10^{-4}$ pour des masses initiales entre $1~{\rm g}$ et $10^5~{\rm g}$ avec $M_{rel}=M_{p}$ et entre $7.3\times 10^{-4}$ et $5.6 \times 10^{-4}$ avec $M_{rel}=10M_{p}$. Comme pour les trous noirs ne s'étant pas évaporés, $p$ a une très faible dépendance en $M_{H,e}$ puisque $\beta$ est extrêmement sensible à la variance de masse dans cette gamme. Il est important de bien noter que cette fois $M_s$ doit, non seulement être, bien-sûr, supérieure à $M_{H,e}$ mais aussi être inférieure à $M_*$ (de façon à s'affranchir des contraintes observationnelles) et même plutôt à une fraction de $M_*$ afin de ne risquer aucun conflit avec la nucléosynthèse primordiale.

Il apparaît donc clairement que dans chaque cas (échelle d'inflation haute ou échelle d'inflation basse) et pour des raisons différentes, un très large espace de paramètres ici quantifié permet, contrairement à ce qui est souvent pensé, aux trous noirs primordiaux d'être d'excellents candidats à la matière noire. Mais pour que cette hypothèse soit véritablement viable, il faut deux points supplémentaires : la qu'elle soit naturelle et qu'elle soit vérifiable. Je n'ai aucun argument concernant le premier point : un modèle microphysique d'inflation, non encore clairement construit, est nécessaire pour aller plus loin dans cette direction. Le second, en revanche, peut être étudié. Le voie habituelle pour sonder les trous noirs primordiaux, leur émission de Hawking, n'est ici d'aucun secours puisque, précisément, le modèle permet d'éviter une production importante de PBH dans la zone "sensible" ( $10^{12}~{\rm g}<M<10^{15}~{\rm g}$). Nous proposons d'utiliser les ondes gravitationnelles émises par la coalescence de tels trous noirs [86]. Bien-sûr, ces objets sont aujourd'hui très dilués et c'est dans l'Univers primordial qu'ils doivent avoir formé des systèmes liés. On s'intéresse en fait à la probabilité que la coalescence de ces systèmes s'achève maintenant. Il faut d'abord calculer la distance maximale $R_{max}$ entre la Terre et un système binaire compatible avec la sensibilité d'un détecteur :

\begin{displaymath}\left(\frac{R_{max}}{20~{\rm Mpc}}\right)\approx 3.6\cdot10^{...
...5}{6}}
\left(\frac{\nu}{100~{\rm Hz}}\right)^{-\frac{1}{6}}~,
\end{displaymath}

$h_{SBmin}$ est la sensibilité de l'instrument et $\nu$ est la fréquence considérée. Le nombre $n(M_{PBH},R_{max})$ de PBH à l'intérieur d'une telle sphère peut être estimé avec un profil de halo isotherme pour $R<150$ kpc :

\begin{displaymath}\rho(r,\psi)=\rho_{\odot}\frac{R_C^2+R_{\odot}^2}{R_C^2+R_{\odot}^2-2rR_{\odot}
cos\psi+r^2},\end{displaymath}

$\rho_{\odot}\approx 5\times10^{-25}~{\rm g}{\rm cm}^{-3}$ est la densité locale du halo, $R_C\approx 3$ kpc est le rayon de c\oeur, $R_{\odot}\approx 8$ kpc est la distance au centre de la galaxie, $r$ est la distance à la Terre et $\psi$ est l'angle entre le point considéré et le centre galactique vu depuis la Terre. Cela conduit à :

\begin{displaymath}n(M_{PBH},R_{max})=\frac{\pi\rho_{\odot}}{M_{PBH}}\frac{R_C^2...
...rR_{\odot}+r^2}{R_C^2+R_{\odot}^2-2rR_{\odot}+r^2}\right\}rdr.
\end{displaymath}

Pour $R\gg 150~{\rm kpc}$, une distribution moyenne de matière noire avec $\rho\approx
0.3\rho_c$ est supposée. Enfin, le taux de coalescence $f$ à l'intérieur de ce volume est évalué dans l'hypothèse d'une fonction de distribution comobile initiale uniforme [86] :

\begin{displaymath}f\approx 3\left( \frac{M_{PBH}}{{\rm M}_\odot} \right)^{\frac{5}{37}}\times
\frac{n(M_{PBH},R_{max})}{t_0}~,
\end{displaymath}

$t_0$ est l'âge de l'Univers. En rassemblant ces formules et moyennant un peu de calcul numérique, il apparaît que si les PBH ont une masse supérieure à $2\times 10^{-5} {\rm M}_{\odot}$, ils pourront générer plus d'un événement par an dans VIRGO. Si les fréquences de l'interféromètre spatial LISA sont considérées, cette masse descend à $10^{-11} {\rm M}_{\odot}$. La gamme ainsi sondée s'étend sur presque 15 ordres de grandeurs du modèle (avec un certain recouvrement sur la zone sensbile du microlensing, entre $2\times 10^{-7}{\rm M}_{\odot}$ et $1 {\rm M}_{\odot}$). La partie "basse échelle d'inflation" est donc largement testable. En revanche, il n'en va pas de même pour la partie "haute échelle d'inflation", dans laquelle la matière noire serait constituée de reliques de Planck, légères ($\sim 10^{-5}$ g), n'émettant aucune particule, dépourvues de charge, dépourvues de couleur et dépourvues de saveur. Leur détection, dans l'état actuel des idées, est strictement impossible. Un candidat idéal à la VDDM [Very Deeply Dark Matter:-)] ?
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Aurelien Barrau 2004-07-01