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Antideutérons primaires [39]

Les sections précédentes ont montré comment les antiprotons et les gammas cosmiques permettaient d'obtenir des limites supérieures sur la densité de trous noirs primordiaux dans l'Univers contemporain. Nous proposons ici d'aller plus loin et de présenter un moyen envisageable pour procéder à une détection. L'idée [40,31] consiste à utiliser cette fois des antideutérons, noyaux légers formés d'un antiproton et d'un antineutron. Le rapport signal bruit attendu devrait être largement supérieur pour des raisons essentiellement cinématiques : le seuil de création des $\bar{D}$ par interaction du rayonnement cosmique sur la matière interestellaire $p_{CR}+p_{ISM}\rightarrow \bar{D}+X$ est $E=17m_p$ dans le laboratoire, soit 2.4 fois plus élevé que pour la production d'antiprotons. Le centre de masse de la réaction est donc en mouvement rapide et la probabilité de production d'un antideutéron au voisinage du repos est faible. De plus, l'énergie de liaison du noyau de deutérium est faible, ce qui rend invraisemblable les phénomènes de perte d'énergie sans destruction (cet argument est sujet à caution, il peut même sans doute être réfuté : M. Buenerd et K. Protassov, en préparation).

Pour évaluer la production d'antideutérons issus de l'évaporation de trous noirs primordiaux, il faut implémenter un modèle de coalescence dans la description du processus d'évaporation. Celui-ci rend compte de ce que si un antiproton et un antineutron sont produits au même instant avec des impulsions (vectorielles) suffisamment proches, ils peuvent donner naissance à un antideutéron. Ce modèle a été développé dans le cadre de l'étude des noyaux légers produits par interactions proton-noyau (voir [41] pour une synthèse) et se fonde sur des considérations d'espace de phase:

\begin{displaymath}
\gamma\frac{d^3N_d}{dk^3_d}=\frac{4\pi}{3}p_0^3\left(\gamma
...
...^3N_p}{dk^3_p}\right)\left(\gamma \frac{d^3N_n}{dk^3_n}\right)
\end{displaymath}

$p_0$ est l'impulsion de coalescence qui reste un paramètre phénoménologique et $\gamma$ est le facteur de Lorentz. Dans le cas qui nous intéresse, ce modèle de coalescence doit être implémenté directement dans l'étude de l'évaporation quantique et nous utilisons la procédure suivante: Il est important de prendre garde à ce que l'impulsion de coalescence n'est pas invariante de Lorentz et à implémenter le test, non pas dans le référentiel du laboratoire, mais dans le référentiel du centre de masse du système antiproton-antineutron. On devrait en fait parler d'ellipsoïde de coalescence dans le référentiel du laboratoire. La figure 1.10 présente, à gauche, le spectre différentiel d'antiprotons résultant de $1.9\times10^8$ quarks $\bar{u}$ générés à 100, 65, 50, 25 GeV et la distribution résultante d'antideutérons pour $p_0=160$ MeV. Le rapport entre les flux d'antideutérons et d'antiprotons est de l'ordre de $10^{-5}$, ce qui n'est pas surprenant puisqu'en accord avec les rapports de sections efficaces mesurées (voir références dans [39]). Il existe néanmoins une importante dispersion des valeurs mesurées et c'est la raison pour laquelle nous n'avons pas fixé $p_0$ à une valeur donnée mais laissé ce paramètre libre entre 60 MeV et 280 MeV.

Figure: Gauche : Flux d'antiprotons (haut) et d'antideutérons (bas) générés par des quarks u à 25, 50, 75 et 100 GeV. Droite : Flux d'antideutérons secondaires (points) et venant de PBH (trait) faisant apparaître une large fenêtre de détection à basse énergie.
\scalebox{0.35}{\includegraphics{ps/dbar.eps}} \scalebox{0.35}{\includegraphics{ps/flux_dbar.eps}}

Le flux d'antideutérons issus de trous noirs s'écrit donc:

\begin{displaymath}\frac{{\rm d}^2N_{\bar{D}}}{{\rm d}E{\rm d}t}=
\sum_j\int_{Q=...
...-1}
\times\frac{{\rm d}g_{j\bar{D}}(Q,E,p_0)}{{\rm d}E}{\rm d}Q\end{displaymath}

${\rm d}g_{j\bar{D}}(Q,E,p_0)/{\rm d}E$ est la fonction de fragmentation en antideutérons évaluée par implémentation du modèle de coalescence dans la simulation PYTHIA (après transformation de Lorentz). Etant donné que le nombre d'antideutérons produits est extrêmement faible, un certain nombre d'interpolations ont dû être mises en \oeuvre de façon à éviter un temps de calcul divergent. Il a été vérifié que leur influence est négligeable. Le spectre d'antideutérons produit est alors convolué avec le spectre de masse des PBH dans une approche similaire à celle employée pour les antiprotons. Le modèle de diffusion ensuite utilisé est directement dérivé de celui précédemment décrit. Le halo de matière noire est décrit par les différentes distributions habituelles. La modulation solaire est prise en compte avec un champ $\Phi=500$ MV. La figure 1.10 présente, à doite, le flux d'antideutérons au niveau de l'atmosphère pour une impulsion de coalescence $p_0=160$ MeV, une taille de halo diffusif $L=3$ kpc et une densité locale de trous noirs $\rho^{PBH}_{\odot}=10^{-33}$ g cm$^{-3}$ (autorisée par la limite supérieure donnée dans les deux sections précédentes). Cette même figure présente également le fond d'antideutérons secondaires calculé dans [31] et montre l'existence d'une large fenêtre à basse énergie pour la détection.

Figure: Gauche : Espace des paramètres accessibles à l'expérience AMS en 3 ans de prise de données : l'épaisseur de halo diffusif varie de $L=1$ à $l=15$ kpc, l'impulsion de coalescence varie de $p_0=60$ à $p_0=285$ MeV/c et la densité de PBH varie de $\rho_{\odot}=10^{-35}~{\rm g.cm}^{-3}$. Droite : même chose pour l'exprérience GAPS.
\scalebox{0.35}{\includegraphics{ps/plot_3d_ams.eps}} \scalebox{0.35}{\includegraphics{ps/plot_3d_gaps.eps}}

La figure 1.11 présente de façon globale l'espace des paramètres ( $L,p_0,\rho_{\odot}^{PBH}$) ainsi accessible aux futures expériences et la figure 1.12 restreint ce dernier à 2 variables lorsque la troisième est fixée à une valeur raisonnable. Il résulte de cette étude que le détecteur AMS devrait améliorer la sensibilité actuelle d'un facteur 6 environ et le détecteur GAPS d'un facteur 40 environ. Il est, de plus, important de noter que la situation est ici très différente de ce qu'elle était avec les antiprotons : la limite n'est plus d'ordre physique mais d'ordre instrumental. Alors que dans le premier cas le facteur limitant était le bruit de fond de spallation, dans ce second cas le facteur limitant est la sensibilité intégrée de l'instrument. C'est donc une nouvelle fenêtre prometteuse qui est ouverte avec les antideutérons.

Il faut néanmoins noter que la diffusion en énergie des $\bar{D}$ (i.e. les interactions inélastiques non-anihilantes) qui a été ici supposée négligeable sur des arguments de fragilité du noyau (l'énergie de liaison est très faible) pourrait être en fait nettement plus importante si l'on se réfère au comportement inféré de celui des protons [42]. De plus, des antideutérons pourraient être produits à plus basse énergie par la réaction $\bar{p}_{CR}+p_{ISM}\rightarrow
\bar{D}+X$ [43]. Le flux incident dans cette dernière approche est très faible (puisque le rapport $\bar{p}/p$ est de l'ordre de $10^{-4}-10^{-5}$) mais le seuil étant plus bas, elle peut contribuer significativement à la partie "sub-GeV" du spectre. Les études préliminaires sur ces deux points laissent penser que la fenêtre de détection à basse énergie demeure mais que son amplitude se trouve réduite à un ordre de grandeur environ.

Figure: Gauche : Espace des paramètres accessibles à l'expérience AMS en 3 ans de prises de données pour $p_0=160$ MeV/c (haut) et pour $L=3$ kpc (bas). Droite : Même chose pour l'expérience GAPS.
\scalebox{0.35}{\includegraphics{ps/plot_2d_ams.eps}} \scalebox{0.35}{\includegraphics{ps/plot_2d_gaps.eps}}

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Aurelien Barrau 2004-07-01